• Invité par une chaîne de télévision andorranne, à titre d'historien, je participe à une émission en direct, au thème défini par l'actualité locale, le problème de la frontière délimitant la commune de Porta et la paroisse d'Encamp, qu'incidemment, répondant à l'interview d'un journaliste de la presse écrite, j'avais soulevé. Je dois être présent, dans les studios, préparation, prise de connaissance avec les autres participants, etc..., pour les dix neuf heures. J'ai plus de sept heures, devant moi, pour avaler les quelques quatre vingt kilomètres à parcourir.

    Il n'y a pas le feu à la maison. Madame la Marquise de la Tronche en carton mâché peut aller danser une farandole endiablée, sauter le guilledou en compagnie de son majordome ou s'installer, confortablement, à la table d'un restaurant sélect, tous les Dieux étant avec elle et avec son esprit.

    En route mauvaise troupe, cohorte déguenillée de va-nu-pieds, d'aigrefins, de détrousseurs et d'égorgeurs des grands chemins, honorables ancêtres des maquisards-passeurs de la deuxième guerre mondiale, une poignée d'hommes et de femmes qui, pour s'enrichir, gardant les valises bien que promettant qu'elles seraient déposées en des lieux désignés d'avance, n'hésitant pas à livrer, aux espagnols et aux allemands tapis aux fonds des vallées, les colonnes de fuyards tentant de rejoindre des terre plus hospitalières, qu'ils accompagnaient à travers la montagne.

    De nos jours ces malandrins se targuent d'avoir été d'honorifiques et respectables résistants mais la gloire est aisée, un mort ne s'exprimant plus...

    Raymond, je t'en prie, tais-toi ! Tu vas trop en dire. Tu sais que la vérité est dure et cruelle à entendre. De plus, ils jureront les grands dieux de leur intégrité profonde, qualifiant tes propos de mensonges, de basses calomnies, injurieux envers ceux qui, dans le pur exercice de leurs trafics licencieux, sont morts pour défendre la France tout en garnissant et en matelassant leur portefeuille.

    Si tu t'avisais, plutôt, de nous entretenir des de Banyuls et des de Nyers, des En Cadell et des Ansowells, des seigneurs truands, ou des Miquelets, ou des Angelets, qui écumèrent les hauts cantons ? Non, pas pour l'instant... Si cela doit être, les pensers viendront en leurs temps, le temps n'ayant point contraintes ni limites strictes, ne assujettissante pas à quelconque maître despotique aux mœurs dissolues et aux exigences farfelues, quand j'aborderai le défilé quérolan, qui saurait ?

    Je ne suis pas en dispositions pour évoquer les défunts, ni les invoquer, le site et le lieu ne s'y prêtant pas.

    Au départ de Mont Louis, la route se développe en paliers pour atteindre, en quelques encablures, le seuil herbeux du Col du Jardo, plus communément connu sous le toponyme de Col de la Perche, point culminant de l'axe routier ralliant, au départ de bourg Madame, les plages sablonneuses de Canet, la Cerdagne au plat littoral méditerranéen, la haute montagne à la mer, après un parcours asphalté de moins de cent kilomètres.

    Cet alpage de la Perxà, jadis quand la féodalité régnait en maître, quand les pèlerins arpentaient les chemins de Saint Jacques de Compostelle, les hivers étant rudes en ces hautes terres, épais le manteau neigeux et les passages difficiles, s'appelait Port d'Enforcat à cause des bois fourchus jalonnant la voie et indiquant, afin de ne point s'égarer ou de mieux retrouver l'hôpital qui était érigé en ces lieux désertiques, la route à suivre. Du nom du petit ruisseau qui, ouvrant le paysage sur la haute vallée de la Têt jusqu'à Thués les Bains, dévale vers la Cabanasse, il lui était, de même, donné le toponyme de Port du Jardo, ouverture géante sur un panorama grandiose avec, pour toile de fond, la dorsale pyrénéenne et ses mythiques massifs, Canigou, Gigants et Infern, Puigmals, Cadi et Carlit.

    Vieille habitude ou rêve d'un adolescent ayant trop vite grandi,  cousue dans une doublure de blouson, je transporte toujours avec moi une petite boite magique, une machine à remonter le temps. Et il serait fort temps que j'en fasse usage. Elle tient peu de place et j'oublie, souvent, que je suis en possession d'une.

    Au cours de l'une de mes vies antérieures, même si le concept de la réincarnation n'est qu'une utopique vue de l'esprit, dans l'imaginaire unissant la nature divine à la nature humaine, une nuit incarnadine, elle m'avait été gracieusement offerte par un mage, un lieutenant du sénéchal, savant en astrologie et prêtre de Zoroastre. Comme elle à l'art prétendu, par des moyens surnaturels, d'opérer d'extraordinaires et merveilleux effets tels la production d'apparitions, de charmes, d'enchantements et de guérisons subites, ou la soumission, à sa volonté, des puissances supérieures et des génies, ou leur évocation, elle effacera de ma vision, les tuyaux verdâtres des conduites forcées, les câbles, les fils et les pylônes électriques, le ruban asphalté sur lequel galopent, pressées par le temps, des boites de conserves multicolores posées sur roues, ou cet autre ruban serpentin sur lequel, toute de jaune et de rouge paré, rampe une chenille essoufflée, bref, toutes ces marques impérieuses d'une civilisation moderne en marche, poursuivie et rattrapée par le progrès gourmandin, pour une fin d'un monde annoncé, toutes ces marques effrayantes, ces cicatrices horribles, ces balafres hideuses qui insultent la nature.

    Jetant un dernier regard attendri sur la haute vallée de la Têt, une vallée où nombre de chemins sont tracés à travers les herbages, les rochers, les nappes de genêts et les lisières des forêts, une large échancrure, une faille sismique berceau d'un fleuve impétueux et batailleur qui, plus d'un millénaire étant, depuis le Port d'Enforcat jusqu'à Olette, a porté le nom de « Valle Engarra », et tout du moins c'est ce que nous apprend l'acte de donation, par Béra, Comte de Razés et Conflent, l'an 846, de son alleu de « Kanaveilles », à l'abbaye de « San Andreu d'Eixalada. »

    Tête tournée vers cette saignée fluviale, défilent les vallées adjacentes encaissées, les murailles vertigineuses de rochers, les nombreux tunnels et les viaducs, multiplication d'œuvres d'art et d'architecture civile, de la touristique ligne de chemin de fer du Train Jaune de Cerdagne, et les précipices impressionnants du Haut Conflent. Mont Louis et ses remparts, sa ville fortifiée et sa citadelle qui abrite, de nos jours, le « C.N.E.C. », le Centre Nationale d'Entraînement Commando, veille comme un sentinelle aveugle et sourde, défendue de donner l'alerte.

    Quel visiteur n'a jamais entendu parlé... « du puits des forçats ? » ceinte de son énorme, sa démesure, sa gigantesque roue de  bois mue par la force de l'homme ? Elle devait permettre de puiser l'eau nécessaire, en cas de siège, aux troupes et à la population, dans un puits creusé, à même le roc, un travail de bagnard, au marteau et au burin, sur une profondeur de trente mètres. Elle devait... Mais Mont Louis n'ayant jamais été assiègée, erreur dans le choix d'implantation de la place forte, elle n'a jamais fonctionné et n'a jamais vu l'ombre d'un forçat, aucun criminel condamné aux travaux forcés, à perpétuité, n'ayant jamais été interné dans la citadelle, qui lui fut attaché, bardé de chaînes, pour lui impulser et lui imprimer le moindre mouvement de rotation.

    La forteresse, en référence au désopilant rapport, établi par Vauban pour l'étude d'implantation d'un tel ouvrage, devait être un point d'appui avancé afin d'affirmer, d'assurer, de soutenir, de concrétiser et de défendre les nouvelles frontières définies par le Traité des Pyrénées signé sur l'Ile des Faisans, sur la rivière Bidassoa, le 7 Novembre 1659, et planifié lors des conférences de Céret, Mai 1660, et de Llivia, Novembre 1660. Le choix de Vauban, occultant d'autres sites, Concellabre, la Balladosa..., militairement plus stratégiques, se porta sur la solane de la Cabanasse, sur un mamelon aride en surplomb du fleuve Têt, pour des motifs incompréhensibles, des raisons de commodité et d'accessibilité, de toute évidence: voies  de communication déclarées praticables en hiver, mais inutilisables cinq mois dans l'année, approvisionnements en eau, évalués conséquents, et en bois de construction, notifiés satisfaisants, en provenance directe, avec des interdictions de coupes à la population de toute la Cerdagne et de la Val Carolan, le Conflent et sa sous-vigue-rie de Capsir, aucune forêt n'étant existante sur le territoire foncier de la communauté paroissiale de la Cabanasse.

    Un mémoire rédigé, en 1741, par Monsieur Sicart, Viguier de la Cerdagne Françoise, est explicite à ce sujet:

    « ... Lorsqu'on batit le MontLouis, ou il est aujourd'huy l'on avoit projetté de le batir et l'on avoit meme marqué en deux diferents endroits, le premier appelé le Pla de Medes, dans la plaine de Cerdagne, a une demy heure de Puicerda, entre les vilages d'Hix, Caldegues, Palau et Osseja, sur un plateau qu'il y a entre Puicerda et Sainte Léocadie, et il est vray que de cet endroit un corps d'armée auroit pue passer pour aller en Conflent et Capsir, sans risque le canon de la place.

    « Le second endroit ou il avoit été projetté et marqué, est sur le plateau du Col du Rigat en allant de MontLouis à la Cerdagne à main  droite, apellé Pla Baladors d'ou l'on decouvre toute la plaine de Cerdagne et auroit été mieux placé qu'a l'endroit ou il est aujourd'huy parce que de cet endroit il n'y auroit peu passer de troupes pour aller en Conflent et Capsir, qu'a la veue de la place et meme a la portée du canon.

    « Le MontLouis ayant été bati a cet endroit auroit comandé toute la plaine et auroit fait contribuer toute la Cerdagne jusques a Belver. S'il y eut des troupes ennemies en quartier dans la plaine, elles n'auroint point été en seureté. L'on auroit pue facillement les enlever. Derriere le plateau ou colline il y a un ravin ou peite vallée ou y passe la rivière d'Eyne du coté de septentrion, et qui degorge au village d'Estavar, et ou elle se joint à la riviere du Sègre.

    « Cette place auroit été a portée de toutes les avenues par ou les enemis auroint peu penetrer pour entrer de Cerdagne en Conflent et Capsir, et le passage de la Perche auroit été toujours libre et l'on n'auroit pas risquer les courses que diferents partis ont fait durant les guerres derniere sur le Col de la Perche; et ou l'on risquoit beaucoup d'y passer sans escorte. Dailleurs l'expérience a fait voir, durant les guerres derniers, que le MontLouis n'a été d'aucune utilité pour conserver la Cerdagne a lobeissance du Roy. Cent hommes des enemis seu sont rendus les maitres de toute la Cerdagne jusques au Col de la Perche, et quand on a voulu conserver la Cerdagne il a falu y entretenir un gros corps de troupe. La garnison de MontLouis quoy que nombreuse n'a jamais peu a cause de la distance peu conserver cette plaine; et au lieu que le MontLouis etant bati a cet endroit, la seule garnison auroit peu contenir tous les habitans du païs, et en temps de guerre les enemis auroint été en une grande obligation d'y tenir un corps de troupes et n'auroit jamais peu empecher la communication de MontLouis avec le Conflent et le capsir, quand meme ils se seroint emparés de Col de la Perche parce qu'ils n'auroint peu y faire passer de la subsistance et de leurs convoys que sous le canon de la place.

    « L'abondance auroit été dans la place en cause du voisinage des villages de toute la plaine de la Cerdagne particulierement de Llo, Rohet, Vedrinyans, Sellagouse, Ro, Err, Estavar et Bajande qui sont dans la plaine du coté du midy, qui ne sont qu'a une demy heure et le plus loin a une petite heure de cet endroit et du coté du septentrion, Targasonne, Eguet, Odello, Via, Bolquere et Eyne, qui ne sont pas plus éloignés. Ce qui auroit bien facilité aux habitans et a la garnison beaucoup d'aisance pendant toute lannée, ce qu'ils n'ont pas a l'endroit ou il est, et que pendant l'hyver les païsans y craignent beaucoup de passer le Col de la Perche se trouvant trop loin de la plaine étant plus a portée de Puicerda, et Llivia que de MontLouis.

    « Le MontLouis ou il a été bati n'en empecheroit pas si l'on vouloit la communication de la Cerdagne avec le Conflent parce qu'un corps de troupes pouroint passer sans etre veues du MontLouis, par Bolquere, et de la a la Borde dit de Cases, et de la a la Quillane et pourint monter par le Col de Caudies qui est vis a vis a la Quillane pour rejoindre le chemin de Llensades et decendre sur le Conflent. »

    Un camp provisoire fut établi dès l'an 1679 et les travaux commencèrent, sous la direction de François de Fortia Durban, suivant les plans établis par Vauban, et s'achevèrent, douze ans plus tard, en 1691. Pourtant un plan soulignait, en 1750, le peu d'avancement de la ville. Il faisait une distinction entre les maisons que quelques particuliers, « hommes de la communauté du Vilar d'Ovençà, un village circonvoisin à la place forte dont les habitants avaient été déplacés, leurs maisons ruinées par décision royale, abattues au canon, pour peupler la cité nouvelle », avaient bâties en maçonnerie et couverture d'ardoises suivant l'alignement planifié par l'ingénieur militaire et maréchal de France, et la grande majorité des baraques de planches dont le menu peuple, de la vulgaire piétaille, n'ayant pas, lui, au différent des nantis et des bourgeois largement récompensés pour l'allégeance au roi dont ils avaient fait preuve, bénéficié des mannes financières qui avaient été allouées « aux francisés », et il était dépourvu des moyens qui lui auraient permis de construire des habitations, selon les règles prescrites et en conformité avec l'architecture locale, haut conflentoise et cerdane, une architecture typiquement montagnarde.

    Fidèle et dévoué à son roi, pour l'honorer aussi en servile courtisan qu'il était, Vauban proposa à son Maître Tout-Puissant, à son « Seigneur Universel règnant après Dieu », de baptiser cette place forte du nom de Mont Louis. Sa dénomination changea à la Révolution et, onze ans durant, elle s'intitula Mont Libre. De nos jours, Mont Louis, ville entièrement construite sur la commune de la Cabanasse et, par décision royale, détachée territorialement de cette dernière, un confetti sur les cartes cadastrales, est une cité très animée et très accueillante.

    Avec son four solaire, le premier d'entre tous en activité et en exploitation, et le second dans le monde après celui, démontable et démonté, de Sorède, en Vallespir, dans le Massif des Albères, - un four construit et expérimenté par Manuel Antonio Gomes dit « Padre Himalaya », physicien portugais -, par une curieuse coïncidence, Mont Louis rend hommage au Roi Soleil, son fondateur.

    En contre bas de l'inutile citadelle, gardienne des espaces vides, ses pieds baignant dans les eaux chantantes du Jardo, il se peut voir, signes intrinsèques d'une industrie, jadis prospère, les anciennes bâtisses, se dressant toujours fières et auréolées de leur gloire d'antan, de la sècherie domaniale de la Cabanasse, construite de 1894 à 1896.

    Elles produisaient, annuellement, cinq à six tonnes de graines de pins à crochet, une tonne et demie à deux tonnes de graines de pins sylvestres et, « l'arbre majestueux n'étant pas l'apanage exclusif du continent Nord-américain et des pentes Ouest de la Sierra Nevada, des Rocheuses, de la Californie et du Colorado, particulièrement, et de ses parcs, le King Canyon, le Yosémite, le giant Forest, le Tall Trees Grove ou le Great Basin », une centaine de kilogrammes de graines de Séquoïa sempervirens à bois rouge. La récolte des douze à quinze mille hectolitres de cônes, nécessaires à cette production, apportait du travail et des revenus substantiels à une main d'œuvre locale.

    Le progrès et la modernité, non le modernisme, aliénant les esprits, l'appât du gain détournant l'économie de ses finalités originelles, en 1962, la sècherie, hélas, ferma irrémédiablement ses portes. Elle laissa un village orphelin et anéantit les espérances d'une cité décapitée, vouée à sa ruine, au nom du Dieu argent et des grands argentiers pliés aux basses et abjectes menées politiciennes. Depuis la petite agglomération s'est refermée sur elle-même. Elle revit au rythme du système économique domanial, réminiscences d'un passé aux consonances moyenâgeuses. Son territoire communal, amputé, sous Louis XIV, de dizaines de « feixes », de prés de fauche et de pâtures, est divisé en terroirs de faible et moyenne étendue. Le propriétaire exerce une autorité discrétionnaire, agissant, en certains cas, selon sa volonté particulière, sur tous les habitants demeurant, y domiciliés, sur ses terres. Il y organise la production de céréales, herbe de fauche, paille et pommes de terre, et l'élevage de bovins, ovins et équins, et paie, souvent en nature, les hommes qu'il y fait travailler. A côté de ces terriens subsistent quelques artisans qui ont le tour de main, appliquant des techniques, fruit de longues expériences, et dont la connaissance est transmise, un maigre mais riche héritage, de génération en génération.

    Et les uns et les autres, ayant des besoins et des goûts traditionnels, vivotent, leur horizon étant de peu d'étendue. Aussi le village, au fil du temps et des jours, se meurt.

    Si les yeux se portent, alors, au loin, s'enfonçant dans la la large mais inquiétante et trouble, agitant les esprits, échancrure de la « Valle Engarra », le regard s'arrête sur un promontoire et, en son  sommet, discerne des ruines. Là se dressait, jusqu'en 1654, une tour rectangulaire, comme l'étaient les tours les plus anciennes de la contrée, aux murs épais, élevés autour d'un espace libre restreint, quelques mètres de superficie, une tour armée de petites meurtrières. Malgré ces défenses rudimentaires et une poignée de combattants, elle subira, en 1654, un siège par l'armée et l'artillerie de Louis XIV et résistera pendant cinq jours avant de capituler. Puis, excepté un angle qui, depuis plus de trois cent ans, est toujours dressé, elle sera détruite au canon.

    Un minuscule et misérable hameau, un vilar, cité comme l'un des trente trois villages cédés à la France, par les souverains catholiques espagnols, lors de la Convention de Llivia du 16 Novembre 1660, s'abritait plus loin, on ne sait où. Mentionné dès l'an952, dans un acte de donation faite, par la Comtesse Ava, veuve de Miron II, Comte de Cerdagne, à l'abbaye de Saint Michel de Cuixà, il a donné son nom à la tour d'Ovençà, tour dite du Vilar d'Ovençà. Par volonté royale, cette communauté d'âmes avait été transportée, après sa construction, sur la place forte de Mont Louis et, pour éviter tout retour de la population dans le village abandonné, l'armée en avait rasé toutes les maisons d'habitation et leurs dépendances, l'infâme amas des ruines servant de carrière de pierres et de moellons pour alimenter le chantier et l'érection de certains des bâtiments de la citadelle.

    Et si l'acuité visuelle se translate à des lieues à la ronde, noyé dans les ramures verdoyantes, un pont de pierre à une arche, haut perché sur la Têt... Mais où vais-je, esprit vagabond, m'aventurer. Je dois rejoindre l'Andorre, un impératif, et je ne suis pas sur le chemin de retour.

    Pour Perpignan et Le Soler ? Ce ne sera que mardi, en fin d'après midi... ! Et je ne ferai pas le même trajet. Je n'emprunterai pas la même vallée ni le même ruban asphalté, ayant, revenant de Barcelone, fait une halte, pour y rencontrer mon inconnue du téléphone, à Amélie les Bains, sur les berges du Tech.

    Sur la droite, au milieu des près de narcisse, un gros village, Saint Pierre dels forcats, s'est accroupi, frileux, apeuré, ses toitures de llauzes noirâtres et moussues, le clocher, infatiguable guetteur, en figure de proue, seules osant se montrer, au pied de son domaine  skiable dévalant les a-pics impressionnants, les ombrées fangeuses et les ressacs arborés du cirque spectral, une légende contant qu'un esprit malin en hantait la conque, du Cambre d'Aze.

    Dans la doublure de mon blouson, ma boite magique, ma machine à remonter le temps, ne cesse de grésiller et de me biper.

    Serait-elle venue l'opportunité d'user utilement de ses connaissances ? Ce n'est, pourtant, que Sant Pere dels forcats, une petite bourgade montagnarde, aux portes de la Cerdagne, une communauté paysanne sans histoire notable connue autre que ses différents politico-financiers et économiques, au chef du domaine skiable, l'or blanc des Pyrénées manne des sociétés privées et des consortiums, qui l'opposent à celle, voisine, d'Eyne ! Ce n'est que le Cambre d'Aze, ailleurs se dressent, imposants, majestueux, et suprêmes, les Monts sacrés ! Qu'en serait-l que je devrais savoir et que j'ignore ?

    « C'était, dans les tumultes des invasions, aux saisons obscures de la féodalité et de la religiosité... » L'étrange boite, minuscule tête d'épingle, s'anime, s'éclaire de mille feux et plonge dans les profondeurs abyssales. Elle descend, à vitesse supersonique, dans le passé méandreux, aux jours sombres des époques délétères où guerres succédant aux guerres, agressions armées aux agressions armées, coups de mains crapuleux aux coups de mains odieux, toutes exactions génératrices de terreurs pour les peuples autochtones, les bannières sanguinolentes de la religion claquant aux quatre vents, portant hauts leurs appels aux meurtres et, exterminant les âmes, déflorant les filles de la Création chantées et louées par les livres sacrés.

    En ces temps là, et aujourd'hui encore, ces heures sinistres n'étant toujours pas révolues, on tuait, on assassinait, on violait, on assujettissait les populations et on livrait, à l'esclavage, les hommes, les femmes et les enfants rendus captifs, au nom d'un Dieu, un Dieu puissant semant désolation, famine et mort et, en sacrifice et en holocauste, versant le sang des innocents...

    Et mes pensées lui ayant irrémédiablement coupé ses moyens d'expression, l'étrange boite bardée d'électronique, désireuse de me faire taire, manifeste son impatience et brouille les émissions intellectuelles et spirituelles polluant mon cerveau. Ayant investi et déconnecté mes neurones, elle s'anime à nouveau, recale ses données et, reprenant sa conférence, s'impose. « C'était... »

    Comme si le présent n'existait plus, la Terre s'étant vidée de ses hôtes, ne recelait plus âme qui vive jusqu'en ses contrées les plus reculées, ses recoins les plus infimes ! Comme si l'homme, un animal pensant, infatué de sa personne, se voulant policé, supérieur et maître du destin, un vulgaire prédateur dépeçant les lois naturelles et un minable affabulateur sans consistance morale, avait cessé d'arpenter, afin d'en expurger sa sève nourricière, la surface arrondie du globe ! Comme si la planète bleue, à son dernier carat, avait explosé, essaimant l'incommensurable univers de ses déchets radioactifs... !

    « C'était... C'était... C'était... » La boite mystérieuse, exécrée par mes humeurs acides, son disque rayé et sa tête de lecture émoussée, bafouille. Elle serine une plainte monocorde et grinçante. Ses neurones artificielles court-circuitées, tire sa révérence et se cloître, son écran à cristaux liquides virant au noir, dans un total mutisme.

    Que ne saurais-je jamais ce dont, magnanime, elle voulait m'entretenir et m'instruire ?

    Une ombre démoniaque et titanesque est passée, barrant l'horizon, masquant le soleil, plongeant toute vie dans les ténèbres inhospitalières, sataniques et diabolisantes. Le temps a suspendu son vol et Bélial, l'ange de mort, a déployé la toile que Belphégor, volcan incandescent en éruption, s'échine à replier.

    Lentement, à cercles mesurés, l'astre solaire se libère de ses nues sacrilèges. Tous feux flamboyants, il déverse, impétueux, et à flots répétés, révélant la Voie Lactée, ses rais acérés. Une éclatante blancheur abreuve, les illuminant, les terres frileuses, blotties aux pieds des géants de granite et de schiste. La nature, un instant étourdie et muette d'effroi, s'ébroue et se régénère. La vie reprend son vol.

    D'abord, des grésillements quasi imperceptibles, une manifestation sourde s'arrachant d'outre-tombe, et le silence pesant ! Puis, brutalement, un bip tonitruant zébrant l'éther, un cri victorieux sur l'inconcevable !

    Le mystagogue secret, incis dans un repli de mon blouson, fier de sa technologie, clamant sa science et claironnant son indestructibilité, manifeste sa présence et fanfaronne. Son timbre est élevé et pugnace, isolant mes fusibles, me réduisant irrémédiablement au silence, débite son savoir :

    « C'était dans les temps déclinants de l'univers wisigothique. La foudre ourdissait aux frontières ibériques. Et, date encore imprécise, -710 ? -715 ?-, les Pyrénées furent franchies par les Sarrasins rêvant de s'emparer de la Septimanie, pays riche et fertile, dernière dépendance gothe encore libre. Dès 711, la Cerdagne, le Capcir et le Haut Conflent passaient sous contrôle des autorités musulmanes. Pendant des décennies, tout le territoire fut dévasté, razzié, mis à sac, à feu et à flammes, par des bandes de charognards hargneux, avides de butin jusqu'à ce que, vers 765, Pépin le Bref, et avec lui, Wilfred el Pelut, un fils du pays, parvint à reprendre, reconquête longue et chère en vies humaines, - réacquisition initiée dès Octobre 733 et non 732 comme trop souvent jugé pour vrai et enseigné, à Poitiers, par Charles Martel, Maire du Palais, son père -, du Languedoc aux Pyrénées, toute la région... Désolé, mais je crois que je vais interrompre mon émission... ton téléphone sonne... »

    Embarquement direct pour Cythère, pour les jardins suspendus de Babylone ou, l'exubérance étant un maître mot, pour un nouveau tour de manège...

    Encore et toujours ma volubile inconnue ! A croire, qu'en ce jour de Pâques, elle n'a d'autres occupations que de téléphoner. Téléphoner est, peut être l'un de ses péchés mignons ? Son principal loisir ? Ou sa raison d'être et d'exister ? Serait-elle, à ce point, si désœuvrée, qu'elle en serait réduite à se raccrocher à une voix, fut-elle la voix d'un inconnu aussi suave, aussi charmeuse ou aussi troublante, serait-elle ?

    En toute chose, je n'aimerais pas réceptionner ses facturations téléphoniques, le dû, en communications, devant être pharaonique.

    Hier, aujourd'hui, des heures pleines et une tarification au plein cachet, des conversations interminables, tant bien plus ce matin, une téléphonie érotisante sous le couvert de me régaler de ses confidences coquines. Qui, autre qu'elle, se serait ainsi osé à se découvrir dans des sujets brûlants, à s'y étendre, à s'y vautrer et à s'y encanailler ? Elle donnait même l'impression de s'y complaire et de s'y pâmer comme si l'exercice, à haut risque, lui était une habitude familière et lubrique, un moyen autre de s'évader, ou de compenser ses manques. Ou elle était seule, depuis un certain temps, et elle cherchait, peut importerait le prix qu'elle y mettrait, non un homme serein, un compagnon sérieux, mais un mâle, dans toute sa splendeur de mâle en permanente érection, capable de lui permettre de récupérer les temps perdus, s'en donnant à cœur joie et à sexe inassouvi, et, n'en trouvant aucun à sa mesure, ou en trouvant un, après moultes recherches infructueuses, mais en situation d'attente, devant l'énergumène, un vieux beau sur le retour ou un ours mal-léché doté d'ustensiles pendouillards et rabougris, préférant fuir, ou le contraire se produisant; ou, alors, parée et affublée d'un caractère exécrable, de femme ronchonne, elle ne réussissait pas à garder l'étalon idéal; ou, encore, trop portée sur les choses du sexe, elle rebutait même les plus endurcis par sa continuelle fringale phallique; ou, enfin, piètre amante, tout n'était que dans ses paroles, se gaussant de sexe sans jamais avoir commis ce dont elle se targuait d'en régaler ses compagnons infortunés.

    Toujours en est-il qu'aucun numéro d'identification sur l'écran de mon téléphone portable, il ne fait point de doute sur l'effective provenance de l'appel. Elle revient, intrinsèquement à l'assaut. Qu'il en soit un autre correspondant, ce n'est pas sûr. Elle n' pas oublié que ses confidences matinales sont restées suspendus à l'impérative commande de son repas du midi. Et, le temps ne m'étant toujours pas compté, je suis reparti pour une téléphonie rose pouvant virer à l'écarlate si, rentrant à deux pieds dans son jeu coquin, je la conforte à en approfondir les détails.

    De toute manière, écouter ou ne pas écouter, elle se gargarise de mots, de paroles, de longues tirades, d'interminables monologues.

    Si je suis distrait..., elle ne s'en apercevra pas, trop prise à s'entendre.

    Pourtant, tout aussi bizarre qu'il n'en paraisse, non conforme à l'initial de son appel matinal, quant il s'était agi de m'entretenir de sexe, elle m'avait plus longuement impliqué dans la conversation. Je n'ose émettre de supputations libidineuse, les certitudes apparaitront d'elles-mêmes, et s'imposeront, découlant de ses dires et de ses actes. Si j'avais un choix à faire, la concernant, entre un état de jouisseur et un état jouissif, je voterais, sans hésiter, pour le second parce qu'en amour et dans la vérité nue de l'acte de chair, l'égoïsme est sa qualité principale et son but premier, parlant trop, agissant peu et quémandant beaucoup.

    Je me résigne, finalement, à rentrer en communication privée, « appel privé », ainsi s'affiche, une non identification, sur l'écran de mon téléphone portable, mon correspondant, avec elle. Car, si je ne le fais pas maintenant, les appels vont se multiplier jusqu'à ce que je daigne, enfin, lui répondre et, entre temps, les messages s'accumuleront.

    De deux peines, un mal. Je choisi le mal, laissant le pire derrière moi.

    « Avant de te quitter, tout à l'heure... » C'est elle qui minaude... ! En toute logique, je ne pouvais pas me tromper. Elle revient à la charge, directe et sans préambule. Cela s'inscrit, très probablement, dans ses raisons, ses conceptions et ses usages, un trait indubitable dans son intempérance caractérielle, le correspondant,son correspon­dant, se devant de s'y adapter ou, instruit de ses propos intempestifs, de refuser à rentrer en communication avec elle, une éventualité qui, la dérangeant dans ses desseins, l'incommodait.

    « Je ne te dérange pas, au moins ?

    - Te dirais-je oui, je te vexerai. Te dirais-je non, serait un pieux mensonge. Je te laisse le soin d'en tirer toutes les conclusions.

    - Alors, je te dérange, n'est-ce pas ?

    - Pas spécifiquement, mais... »

    Le temps m'en manque. Mon interlocutrice, probablement vexée par ma franchise, et dans la plus totale ignorance de mon franc parler, péremptoire et suffisante, me coupe, avec une brutalité évidente, la parole, me menant au silence.

    « Mais tu m'as dit que je pouvais t'appeler ! Alors je me suis permise de te recontacter en ce milieu d'après midi. J'ai tant de confidences à te faire avant que nous nous rencontrions qu'il serait absurde d'attendre mardi. Pour notre première rencontre, nous aurons alors toutes autres raisons à nous entretenir. Alors toutes mes confidences, je tiens à te les faire aujourd'hui et, ainsi, j'en serai libérée. Tu sais, je suis une femme et il y a bien des temps où je n'ai pas été en compagnie d'un homme. Il y a bien des temps que je n'ai pas caressé une paire de couilles, que je n'ai pas sucé une verge et que je n'ai pas baisé. J'ai peut être d'autres besoins que de m'éterniser, tout un après-midi, surtout si la météo se prête à la promenade, dans une discussion stérile.

    - Je ne te dis pas le contraire. Tes raisons, en ce qui te concerne, te sont propres. Et tu agis suivant leurs dévolutions. Dès hier, tu n'es pas sans ignorer que je me rends en Andorre, que je suis convié à un débat historique, invité par la télévision et que je pouvais risquer de ne pouvoir tenir liberté de rendre une réponse à ton appel.

    - Je le sais. Et je sais, aussi que tu as un rendez-vous à dix huit heures et il n'est que quatorze heures douze précisément. Je ne suis donc permise de te rappeler, en ce début d'après-midi, pensant que tu pourrais m'accorder un peu de ton temps, aussi précieux soit-il. »

    Mais où suis-je tombé ? Une telle femme s'imposant, sans commune décence et hors toute réalité des sens et de la délicatesse, ne doit vraiment pas être facile à vivre et Dieu qu'il doit être pénible de se trouver à ses côtés, des jours, des semaines, des mois durant. En fait, j'apprends à la connaître et à savoir comment agir avec elle. Ce n'est plus la conviction mais la certitude. Elle est certainement intéressante dans un lit, au-delà, il ne doit y avoir plus rien sous peine de multiples problèmes à affronter. A moi de prendre toutes mes précautions pour qu'une banale partie de baise ne se transforme pas en détention à perpétuité.

    De cela, que j'en sois bien convaincu avant que l'irréversible, enferré dans ses tentaculaires grappins, ne se produise. Mais, je n'en suis pas encore aux plaisirs charnels.

    S'il est une réalité présente, c'est son insistance au téléphone.

    Assurément, elle n'a qu'une seule idée en elle, parler sexe et exclusivement sexe, même si je me trompe sur les réelles intentions qui l'animent. Quelle qu'en soit gavée, à n'en plus vouloir, au risque de lui déplaire et de passer une bonne occasion, je vais me prêter à son jeu, sans me garder.

    « Puis-je te poser une question, même si elle est indiscrète ?

    - Tu peux... Tu as toujours répondu aux miennes sans te défiler... Je répondrai aussi à la tienne...

    - Dans quelle tenue es-tu ?

    - Comme toujours quand je suis chez moi... dans toute ma nudité. Et comme ce matin, quand je t'ai appelé, je suis couchée sur mon lit, en toute décontraction, le téléphone à mon oreille, me caressant les seins et les cuisses, n'en oubliant pas ma chatte et totalement offerte. Est-ce que cela te plaît ?

    - Et si j'étais chez toi ?

    - Je ne changerai pas mes habitudes.

    - Et si quelqu'un vient à frapper à ta porte ?

    - Je ne reçois personne d'autre que mes invités... Et, je le déplore, je n'en ai pas reçu depuis plusieurs mois... Si tu veux savoir, je suis toute nue quand je leur ouvre la porte... Le jour que tu viendras chez moi, c'est ainsi, aussi, que je te recevrai...

    - Alors, chère dame, inconnue mais déjà si près que j'en devine, sans t'avoir galamment déshabillée du regard, tes formes harmonieuses, aguichantes, tes seins tout dressés et gorgés d'envie d'être caressés, et tes désirs intimes, de laquelle, si ton cœur t'en plaît, de tes confidences gourmandes souhaites-tu m'entretenir. Je suis tout à ton écoute, tout disposé à t'entendre.

    - Tu me subjugues quand, me parlant avec chaleur, tu m'invites à t'offrir mon corps. Il n'en tient qu'à toi que tu en prennes possession dès ce soir....

    - Merci pour ton invitation...

    - Dommage que tu ne sois pas si loin du côté de l'Andorre et que tu ne puisses pas te libérer. Dommage pour moi car je suis déjà mise dans des dispositions optimum et j'ai même pris une avance en vue des futures festivités érotiques auxquelles, dès ce mardi, je n'en doute pas un instant nous nous adonnerons, et je m'y prépare. J'aurai le plaisir d'y goûter en ta compagnie.

    - Si tu précisais, pour éclairer ma lanterne, la teneur de ces gâteries auxquelles tu t'es adonné ? Je comprendrai peut être. Tu veux... ! Tu acceptes... ! Comme tu es un chou... ! Je vais te les dire... »

    Mon inconnue est incroyablement excitée et elle me donne l'impression de ne plus se tenir. Elle jubile. Ne m'a-t-elle appelé que pour m'entretenir de sexe ? Même si j'en avais douté, mais l'idée ne m'en a pas effleuré, tout est clair et d'une évidence criarde. Le sexe l'accapare, l'obnubile. Ne vivrait-elle que pour lui ? Que par lui ? Et qu'au travers de lui ? Toute son existence de femme épanouie ne se ponctuant que par le sexe, ne se traduisant qu'au travers de lui et ne se sacralisant pleinement que dans les actes de chair. Il n'en peut paraître autrement tant sa réaction spontanée en est un aveu.

    Avec impertinence, j'ai lancé délibérément une bouteille gourmandine à la mer hors toute certitude quant au résultat final, et, au risque de me faire éconduire. Elle en a saisi, instantanément, le message, n'attendant que l'opportunité, sans aucunement s'en trouver outrée, de s'épancher. En fait, comme si elle n'attendait qu'une occasion de s'adonner, voiles aux vents du libertinage, à ses loisirs favoris.

    « Je dois t'avouer, quand même, me permettant de te rappeler que j'avais envie de te raconter ce que j'ai osé faire, en pensant à toi avec intensité, après le repas de midi. Tu veux bien que je t'en parles ?

    - Si tu y tiens, je ne m'y opposerai pas...

    - Merci de me le permettre. Tu es un chou et je saurai te le rendre quand nous nous rencontrerons. J'attends avec impatience mardi. Tu peux me croire et tu n'en seras pas déçu. Et tu peux aussi croire que je saurai t'attacher à moi. Je saurai y mettre la manière et payer de ma personne pour que tu n'ailles plus chercher ailleurs toutes ces choses douces et caressantes dont les hommes raffolent et que tu trouveras toutes chez moi, tu peux me faire confiance.

    - Si tu le veux bien, nous verrons tout cela mardi. Nous ne sommes que dimanche, aujourd'hui, et je suis bien loin de toi. En attendant, dis-moi donc ce que tu désires tant me conter. Je saurai, peut être, priser la finesse de tes gâteries.

    - Alors, je peux t'en entretenir sans avoir la crainte, sait-on jamais, que tu m'envoies paître ?

    - Tu en éprouves tellement le besoin, je te dirai plus, la nécessité, tu le peux. Et je t'écouterai discourir, te laissant t'étendre, sur tes choses secrètes, avec grande religiosité. Ma réponse te satisfait-elle ?

    - Oui. Après, si tu le veux encore et si tu n'as pas changé d'avis depuis ce matin, je reviendrai sur mon amie intime, comme j'ai déjà pu te le dire, une femme charmante et merveilleuse avec qui, et en sa compagnie, j'ai beaucoup appris.

    - Comme tu le voudras. C'est toi qui décide et c'est toi qui me fait tes confidences. Tu en est libre de tout me dévoiler afin de mieux m'instruire sur ta personnalité. »

    Mon inconnue est rouée à la coquinerie. Elle n'est pas femme pour rien. Elle veut se faire attendre et désirer, se croyant m'obliger à patienter. Combien elle se trompe. Mais si elle y croit, pourquoi la désobligerai-je ? Elle n'a qu'un souhait, ce n'est nullement un secret, se lancer dans les dédales engourmandis de la polissonnerie, de la grivoiserie.

    Possédant tous les atouts en main, elle interprète un désuet concerto aux mouvements éculés se diluant dans les insipides longueurs d'un scénario couru d'avance, et elle s'éternise. Je ne trouve point dérangeant.

    N'est-ce point elle qui a en charge le débours de la communication ?

    Agissant de la sorte, seule, elle se pénalise, de plus, financièrement.

    « Tu veux vraiment que je te raconte ce que j'ai fait après le repas ?

    - Pourquoi pas ? Si es si empressée et tu y tiens que tu ne peux t'en retenir ! Pourquoi ne me le conterais-tu pas dans tous les détails afin de ne pas en perde la substentive moelle ? A moins que tu te sois commise dans un acte délictueux ! Ce que je ne pense pas, te croyant pleine de sérénité et de bon sens. Alors, pourquoi attendrais-tu encore au lieu de me faire languir ? Ce ne doit pas êtres déshonorant, si je ne m'abuse ? Tout au contraire... Tu as dû y prendre du plaisir puisque tu as une folle envie de m'en faire la confidence de ce qui pourrait s'avérer être un secret.

    - Tu sais, j'ai un peu honte aussi. Qu'est-ce que tu penseras de moi, après ? Que je suis une délurée et une dépravée ? Que je suis une vulgaire cochonne et une femme sans intérêt ?

    - Ou, tout simplement, qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien ! Je crois que c'est le lot de toute personne qui est seule dans la vie. Tu sais, ce n'est pas désobligeant du tout, ni même déshonorant de se masturber. Et tu as dû en retirer un grand plaisir puisque tu as cœur à vouloir me le faire partager.

    - Comment as-tu pu deviner qu'après le repas de midi, je me suis caressée ?

    - Toutes tes paroles me l'ont laissé entendre et tu me confirmes dans mes déductions. Tu vois ? ce n'était pas plus difficile que çà. Quant on connait son mal, il est aisé de connaître celui des autres.

    - Cela t'arrive aussi de te masturber ?

    - Si je te répondais non, je ne serais qu'un piètre menteur. Bien sûr cela m'arrive. Je suis un être humain comme tout le monde. Et je n'en suis pas exempt. Il m'arrive de me masturber et je n'en suis ni sourd ni mort. Et puis cela fait du bien, de temps à autre, de dégorger ses bourses scrotales, les testicules si tu préfères. Ensuite, la tension retombée, on dort mieux. Ce sont des avantages non négligeables quand on y regarde de près. Et puis, ce soir, qui dit que je n'aurai pas envie de me masturber en pensant à toi ?

    - Tout ce que tu viens de me dire, j'en suis heureuse, me conforte et je me sens plus libre d'en parler, de t'en parler. Ce matin, te faisant des confidences sur les rapports que j'entretenais avec de vieux barbots à demi séniles mais pleins aux as, avec qui je fricotais des années passées, je n'avais éprouvé aucune réticence à te décrire les parties de cul en leur compagnie et, bien entendu, le plaisir que je ressentais quand je me caressais devant eux. Je n'avais pas voulu te mentir, çà faisait part du jeu, du contrat devrais-je plutôt dire. J'en retirais des bénéfices financiers sans être une pute, surtout un bon moyen d'arrondir mes fins de mois et de garnir ma garde-robe. Enfin, c'était une façon, aussi, d'accéder à la jouissance car eux ne m'y faisaient parvenir que rarement. Que pouvais-je espérer comme septième ciel, de leurs minables queues qui tombaient en décrépitude et qui se ramollissaient avant que je n'eus frôlé le moindre orgasme ? Mais, aujourd'hui, rien n'a été pareil. Je n'ai jamais rien ressenti de semblable. J'ai eu l'agréable et la sublime impression que je n'étais pas toute seule.

    - Tu étais donc, si je t'entends bien, en charmante compagnie ? Était-ce ta charmante amie que tu dois me présenter, soit dit en passant pour te le rappeler, qui t'a rendu une visite ? Ou aurais-tu eu un invité, à ta table, un vieux monsieur à la queue toute rabougrie, par exemple... ?

    - Tu te moques de moi, n'est-ce pas ?

    - Je n'oserai pas... »

    Bien sûr que j'ai osé. Je me serais gêné ! Pardieu que non ! Une aussi inconvenante plaisanterie ! Méritait-elle mieux qu'une réflexion oiseuse ? Je ne le pense pas ! Comme elle ne méritera pas plus, ce mardi, lors de notre première rencontre, et l'une des dernières, si ce n'est la première et dernière, ne désirant point m'embarrasser d'un tel énergumène, dès le premier coin tranquille venu, loin de tout regard, loin de tout importun, loin de tout mateur, de la trousser, culotte descendue aux chevilles, sans aucun préliminaire, mon doigt enfoncé dans sa chatte, juste le temps de me débraguetter et de sortir mon mandrin, puisqu'elle ne souhaite que çà, baiser, se faire baiser; de la sauter, à la sauvette, prenant le temps de lui offrir un orgasme avant de m'abandonner en elle et de décharger, dans son vagin, deux ou trois jets de semence spermazoïdale; ou, ne cherchant que mon seul plaisir, déboutonner la ceinture de mon pantalon, de me débraguetter, baisser mon slip, l'inviter à s'agenouiller entre mes jambes et enfourner ma bite dans sa bouche. Mais non ! Mardi, je ne me rabaisserai pas à ce point. Je ne tomberai pas dans la dégénérescence ni dans la basse pornographie. Je me garderai de toutes ses avances qui ne manqueront pas, si elle est réellement telle qu'elle se montre, ou veut se montrer, au téléphone, de se bousculer au portillon, l'obligeant à la patience quelques jours supplémentaires avant de s'envoyer en l'air, tous ses sens exacerbés. Je serai, alors, le premier à en tirer un délicieux profit car elle sera bien mûre, capable de toutes les folies.

    « ... et je ne me le permettrai pas, non plus. C'est ta vie, tu l'as vécue comme tu l'as entendue. Et ta vie n'est point la mienne... !

    - Et le tienne t'est propre, devrais-je ajouter... Il est inutile de me retrouver dans le passé. Seul le présent m'intéresse et le présent, à te dire en toute franchise, pour moi, c'est toi. Depuis hier, et mon premier appel téléphonique, je n'ai pas cessé de penser à toi. J'y pense tellement fort que j'ai la réelle sensation de ta présence effective dans mon appartement. Je te vois. Je te parle. J'en suis au stade où ta présence m'obsède.. »

    Mais qui est cette femme ? Qui est-elle donc ? Et sûr qui suis-je malencontreusement tombé ? Une paranoïaque ? Une affabulatrice ? Ou une femme malheureuse se faisant son propre cinéma pour donner un semblant de raison à une morne existence et combler un vide affectif ?

    Quelque part, à en croire, j'ai été un piètre imbécile pour avoir accepté de la rencontrer et de programmer un rendez-vous. N'irais-je pas, ne m'en démettant pas, au devant de graves problèmes et d'insurmontables difficultés ? Et, m'en démettant, n'aggraverais-je pas, au contraire, son état précaire, son abandon moral et son psychisme déficient ? M'étant engagé trop précipitamment, j'en ai jeté les dés. Et je ne peux plus reculer. Je n'ai qu'à changer les plans, ils ne sont bâtis que sur du sable et ils croulent, s'effondrant comme un château de cartes. Mardi, par honnêteté, je me rendrai à Amélie le Bains en simple visite de courtoisie et nulle autre chose. Puis, trouvant une excuse valable, je m'évaporerai, me libérant d'elle, avec des égards, de la considération et de la condescendance, sans faire de vagues.

    « ... Ce midi, c'est devenu intenable. Je me suis assise à table et toi, tu étais assis face à moi, souriant, le visage serein, l'expression de la béatitude dans ton regard. Et je t'ai regardé..., regardé..., ne pouvant détacher mes yeux de ton images si calme, si paisible et si rassurante. Alors, je me suis trouvée affreusement moche, mal peignée, mal maquillée et toute nue, nue comme je le suis toujours chez moi. Et je me suis sentie gênée et pas à ma place. Toi, devant moi, à ma table, un archéologue, un historien et je ne sais plus encore quoi, un homme respectable, je ne te faisais pas honneur. Toi, si différent des hommes ballots me prenant pour une marchandise à sexe, que j'avais pu fréquenter, dans mon passé, d'être mise ainsi, en ta compagnie, j'ai eu honte. Et me privant de repas, je n'ai pas hésité. J'ai décidé de me faire belle, attrayante, sensuelle et désirable, digne femme du monde qui sais recevoir ses respectables et honorables invités. Je me suis rendue à la salle de bain. Je me voulais être présentable, lumineuse, éclatante, tous mes atouts en exergue, une star dans tout mon apparat, pour mieux vous conquérir. Comme tu es quelqu'un de patient, tu es le premier homme qui me supportes sans mot dire. C'est une qualité en toi qui me donne chaud au cœur et ailleurs. Je te savais m'attendre, calé dans le fauteuil de la salle à manger. Je me voulais éblouissante pour mieux te subjuguer et, exerçant mon ascendant féminin, t'encanailler... »

    Mais pourquoi ai-je échoué sur une drôlesse d'un tel acabit, un sacré numéro. Il n'y a que moi pour récolter de pareilles typesses. Je dois les choisir, sans doute, afin de ne pas en rater une. Comme si les arcanes célestes me les réservaient en exclusivité. Qu'ai-je donc fait pour les collectionner ? N'en finirai-je jamais, quelle tristesse, quelle morosité et quelle mornitude dans mon cœur, de les traîner telles des boulets ? Et accéderai-je, un jour, au bonheur ? Qu'il est bien difficile d'y répondre en toute réalité ! Ne serai-je pas, au contraire, voué éternellement à côtoyer des spécimens de ce genre humain dévoyé ?

    Elles sont légion dans ce monde et elles sont toutes pour moi. Cette inconnue qui me voudrait dans son lit ne fait pas exception à la règle.

    Qui plus, elle se veut me draguer se complaisant dans une téléphonie érotique de mauvais aloi. Sincèrement, je m'imaginais avoir tout vu, tout entendu. Que nenni, elle est la crème d'entre toutes et le summum de la vulgarité. Mérite-t-elle, au moins, que je baise avec elle ? Tout, en elle, n'est-il que paroles ? Et les paroles ne sont généralement pas suivies d'effet. Mardi sonnera la sentence. Je la découvrirai dans toute sa vérité, une piètre amante, il n'en fait aucun doute.

    « ... Et si je ne m'étais pas fait belle et désirable pour un homme, je ne serai pas une femme qui se respecte. Être toute en beauté, le corps tout parfumé, et être bien mise dans ses vêtements seyants et affriolants, invitent à faire l'amour. Et toi, tu ne savais pas... De te voir assis, à ma table, en face de moi, dans mon appartement, alors que depuis des mois je ne me suis pas, comme une petite fille, pelotonnée contre une poitrine mâle, et que je n'ai pas sucé ses tétons et posé mes lèvres sur son ventre tiède, que je n'ai plus caressé le dos d'un homme, que je n'ai plus déboutonné la ceinture d'un pantalon, que je n'ai pas zippé la fermeture éclair d'une braguette, que je n'ai plus glissé ma main dans un slip pour y chercher la paire de couilles qui s'y cache, ni palpé et ni branlé une bite..., ce que je me suis sentie toute frétillante. Enfin, la roue avait tourné et j'allais pouvoir goûter à ce plaisir qui me fuit. Je n'étais plus en présence d'un vieux trognon qui ne demandait qu'à s'exciter mais, pour une fois, un homme était chez moi, pour moi, pour moi toute seule, pour me baiser et me faire jouir, et je n'étais pas avec lui pour son argent, le bonheur s'ouvrant à ma porte. J'allais être une femme totalement comblée parce que tous mes désirs seraient assouvis. Je savais que tes mains masseraient ma poitrine et peloteraient mes seins, qu'elles descendraient sur mon ventre et, qu'ensuite, écartant mes cuisses pour leur laisser le passage libre, elles iraient fouiller dans ma touffe poilue. Je savais qu'un doigt ferme fouinerait tout autour de ma chatte, qu'il titillerait mon clitoris et s'enfoncerait, lente et voluptueuse pénétration, dans mon puits enfiévré et étroit, abondamment lubrifié. Et je savais que je me coulerai entre tes jambes, que je prendrai ta bite, toute dure, chaude et ronde, entre mes doigts, que, me penchant, je l'embrasserai, lui donnerai deux ou trois petits coups de langue et que je l'enserrerai entre mes lèvres. Je savais que je te palperai tes testicules regorgeant de suc, tout en aspirant ta verge avec une lenteur calculée. Je savais que, quand je l'aurai engloutie dans ma bouche, je l'enroberai de ma langue, tour à tour l'inondant de salive et la suçant à en perdre haleine,et, après l'avoir trempée de bave, m'asseyant sur tes cuisses, je l'obligerai à ferrailler ferme dans mon fourreau chatière jusqu'à ce que j'arrive à te faire crier quand tes couilles, en se vidant, me feraient l'offrande, s'épandant dans mon vagin et tapissant mes entrailles de deux ou trois rasades de ce jus laiteux et tiède qui est si délicieux à recevoir. C'est pour tous ces plaisirs de la chair que je me suis levée de table, oubliant de manger, et que je suis allée m'enfermer dans la salle de bains afin de m'y préparer... »

    Je crois rêver. Elle est rentrée, de plein pied dans le scénario d'un film pornographique. A penser, sans s'y méprendre, qu'elle y joue un rôle, tout particulièrement celui de l'actrice principale, de croqueuse de sexe, et elle s'identifie totalement à elle. A moins que, laissant vagabonder son imagination fertile et errer ses fantasmes lubriques, elle n'organise et ne mette en situation les tableaux scéniques, lisant, à de fantasques acteurs illusoires, et, à haute voix, pour être entendue, de libidineux commentaires, ou qu'elle n'explicite, agrémentées de moults détails, les positions scabreuses à tourner. Que cela n'en pourrait être étonnant qu'il n'en puisse être contraire ?

    Mon inconnue flirte, à son dire, avec la soixantaine, âge mâture pour une femme, et elle vogue, allégrement, sur les messageries ultra-branchées, des boites à lettres vocales où y véhiculent, entre hommes et femmes, des échanges crus et oiseux, où y circulent des conversations pimentées, trempées et coquines. Alors, l'aisance de son langage argotique, sur un sujet aussi brûlant et torride, est son reflet intime et il est dans la plénitude de ses excès sexuels.

    Que me suis-je donc avancé, acceptant, d'elle, un rendez-vous ?

    Je me suis glissé dans de beaux draps. Même si je n'ai qu'une parole, même si je ne recule jamais face à un engagement pris, il serait peut être aise que je revois la question ou que je reformule les aboutissements.

    Cette femme est, sans contestation aucune m'en contredisant, une malade, une déréglée, un hasard manqué de la création ou, si elle ne l'est, c'est une vicieuse, et elle est peut être dangereuse, son comportement m'interpellant.

    Dois-je me dédire de ce rendez-vous ? S'il en advenait que j'en sois mené à cette reculade, je ne serais pas honnête, voire, même, je serais un poltron. Dois-je l'avancer à demain lundi et le lui annoncer ?

    Elle se sentirait glorifiée. Elle crierait victoire. Elle s'imaginerait supérieure, m'ayant seulement attiré, par ses descriptifs imagés, parlants et aguichants, pour le sexe et, alors, en état de faiblesse, elle me dominerait de toute sa hauteur de femme.

    Dois-je... ? Je me trouve confronté à un dilemme. Pire, mon idée première bat de l'aile. Il est important que je revois mes copies et mes plans. Pour cela, j'aviserai mardi, lors de notre rencontre, de la conduite à tenir: fuir ou rester et prendre mon pied si elle m'en donne la possibilité et l'occasion, ensuite..., il sera utile de choisir une menée rationnelle. Présentement, il me suffit d'écouter ses délires phalliques d'une oreille distraite, voire absente. N'est-elle pas demanderesse ?

    Et comme la communication téléphonique est à sa charge, elle peut s'ébattre autant de temps qu'elle le désirera, qu'elle le jugera utile ou nécessaire car, quand elle raccrochera le combiné, elle aura accédé au plaisir n'ayant eu cesse de se caresser, de se peloter et de se masturber, tout le temps de la conversation, tout le temps de son long monologue, des feulements, des signes intempestifs, le suggérant intrinsèquement.

    Et puis, dans son discours effréné, dans ses affabulations lubriques et luxurieuses, ne se mélange-t-elle pas les raisons dans les temps de la conjugaison, mêlant, entremêlant, présent, passé, futur, preuve de son émoi charnel ?

    « ...Oh oui ! Je voulais être belle, sensuelle et excitante. Depuis des semaines, des mois, et au moins un ou deux ans, peut être plus, que je n'avais pas vu ni même entrevu, le pénis d'un homme, que je n'avais ni frôlé, ni touché, ni caressé, ni palpé le sexe d'un mec de cinquante cinq ans, pas plus que celui d'un autre mec jeune ou vieillissant, bien monté, que je n'avais pas écarté mes cuisses, tendu mon ventre et contracté mes fesses pour laisser le passage libre à un épieu en érection, bien raide, bien dur et bien brûlant de désir, ni ouvert les portes labiales de ma vulve pour, dans une lente et voluptueuse intromission, qu'il y pénétrât le plus loin, le plus profond, qu'il le pourrait. J'ai eu hâte de me préparer à te recevoir en moi. Et bien plus que de m'y diriger, d'une allure normale, étant trop pressée de me jeter dans tes bras et de m'abandonner à tes caresses et à tes pulsions, j'ai couru vers la salle de bain. Dans ma précipitation et dans mon excitation, je m'y suis enfermée, me trouvant bête d'en avoir, ainsi, loqueté la porte. J'étais plus qu'une sotte et je me suis découverte idiote. Tu étais là, assis au salon. Tu étais là et tu ne tarderais pas à me voir revenir, dans toute ma nudité, mes seins dressés, ma chatte épanouie, peignée, maquillée et parfumée, m'approcher de toi, déboutonner ta chemise, en ouvrir les deux pans, me lover contre torse et, te câlinant, succomber à ton charme et me donner à toi dans des étreintes passionnées et torrides. J'étais absurde de m'être enfermée, comme une vieille fille impubère, sans réfléchir le moindre instant, dans le réduit de la salle de bains. S'il te prenait la prévisible envie, te faisant trop patienter, d'y venir m'y rejoindre, tu trouverez une porte close. Alors, par dépit, s'en m'en avertir, tu pourrais quitter mon appartement, me laissant toute esseulée et dans mon désarroi, me privant de plaisir et m'interdisant toute jouissance souhaitée. Et je désirais follement que tu y vinsses, à l'improviste, m'y surprendre, me trouvant assise sur le bidet, mes jambes grandes écartées, mon ventre rebondi et ma poitrine en devanture, paradant face à la porte, bichonnant ma chatte, savonnant mon pubis et rinçant mon clitoris, comme un œillet du matin déjà épanoui sous mes attouchements. Oui, j'avais été idiote de fermer l'accès de la salle de bain. Je le sais ! Tu n'aurais pas eu la patience de m'attendre et tu serais venu pour le plaisir de me tenir compagnie. Alors tu te serais approché de moi, tout près. Je n'aurais pas bougé ni essayé de me détourner. Je serais restée assise et tu aurais été si proche que mon visage aurait frôlé ton entre-cuisse et frotté sur la bosse qui aurait tendu la toile de ton jeans. Je n'aurais plus eu qu'à déboutonner la ceinture de ton pantalon et qu'à zipper sur la fermeture éclair de ta braguette. Après cela, il en aurait été que ton jeans chût à tes chevilles. Tirant sur son élastique, j'aurai obligé ton slip à suivre le même chemin afin d'en libérer ton sexe qui, dressé, aurait pointé dans la direction de mon visage droit sur la cible de ma bouche qui l'aurait attendu. Oui, j'ai été plus qu'idiote. J'aurais laissé passé ce moment où, ton pénis fleurant mes lèvres. Je n'aurais eu, simplement, qu'à les entrebâiller pour sentir la douceur du globe lisse et sirupeux de ton gland frotter contre ma langue et s'enfoncer dans ma bouche. Et je l'aurais lape, sucé, léché, enturlupiné et encanaillé. J'aurais tété ta bite jusqu'à te transporter dans l'extase tandis que, pour ne pas en rester en reste avec toi, je me serais menée d'un doigt agile et expert car j'aime me toucher, accordant le rythme de ma masturbation à celui de la fellation que je t'aurais offert afin que nous eûmes explosé, dans la jouissance, dans un même râle de satisfaction partagée. Je dois te dire que j'aime boire, s'ils n'ont pas une queue rabougrie de vieux barbot, la semence des hommes avec qui je vais faire l'amour pour que tu n'en sois pas surpris, par cette faveur, la première fois que nous baiserons ensembles parce que j'en ai la certitude et la conviction, nous baiserons, tu me baiseras, mon envie en est trop forte. »

    Mais sa raison d'être n'est-elle que le sexe ? Ne vit-elle pas pour autre chose que la sexualité ? Ne pense-t-elle qu'à faire l'amour ? Serait-elle une obsédée sexuelle ? Que je ne m'y attarde autant, j'en aurais des insomnies. Elle est telle qu'il n'y a point lieu à réfléchir ni à se masturber l'esprit. Je n'ai autre qu'à la laisser dans ses délires. Et elle pourra être, elle restera sur sa faim. Je ne lui accorderai pas, ni ce mardi, ni un autre jour, le plaisir d'une étreinte.

    « Tu ne crois pas, les circonstances présentes étant ce qu'elles sont, ne nous connaissant pas, ou nous connaissant, uniquement, que par le truchement du téléphone, que tu mets la charrue avant les bœufs ? Je suis fils de paysan et, avant de semer ou de planter, mon père traçait des sillons.

    - Ce qui est idiot et sot, c'est que j'avais fermé la porte de la salle de bains. Par contre, ce n'est pas du tout absurde, bien au contraire c'est très agréable, d'avoir envie de toi, envie que tu me prennes et envie de te sentir en moi, de sentir ta bite fourrager dans ma chatte après t'avoir taillé une pipe dont tu garderas longtemps souvenir. Et le sillon, comme tu dis, nous le tracerons ce soir, si tu le désires, ou demain ! Non, nous ne devons pas brusquer les événements ! Et puis, tu es en Andorre ! Tu as accepté de me rencontrer mardi. Alors nous le tracerons, tu le traceras... mardi... Tu acceptes toujours de me rencontrer mardi ?

    - Je t'ai promis que je viendrai. Et comme je ne suis pas un homme qui se dédie de sa promesse...

    - Je craignais que je t'avais choqué avec mes confidences, mais ton charisme me rassures... Et crois-moi, je t'attendrai avec impatience. Par contre, si tu venais mardi, en début d'après-midi, ce serait l'idéal, je pourrai me rendre, le matin, chez mon coiffeur pour me faire refaire une beauté afin de t'être agréable à regarder. N'ai pas d'idées folles, mon coiffeur est une femme très sympathique et une exquise commerçante. J'aurai une coiffure toute frisottée et je serai bien maquillée parce qu'une esthéticienne lui est associée et je me serai livrée à ses mains expertes. Pour avoir la peau plus douce à tes doigts, je lui demanderai qu'elle me fasse un traitement corporel et une épilation... »

    Comme mon inconnue peut être déroutante. Un mot, un seul, d'un monologue libidineux et elle se raccroche à une conversation terre à terre, sans aucune transition, le plus naturellement du monde. Elle est plus que déroutante, elle en est même déconcertante. Qu'elle partie de poker joue-t-elle ?

    Elle est dans la plus grande ignorance de mes concepts et elle n'hésite pas à parler sexe. A moins qu'elle ait amalgamé son propre état au mien, celui qu'elle croit mien, et qu'elle s'imagine que je puis être comme elle, parce que, m'étant aventuré une seule fois, un soir de déprime, ce qu'elle ignore, sur un message pervers guidé par une annonce mensongère. Je m'y étais rendu par désœuvrement, à la suite d'une déception cuisante et, pour savoir, je n'avais répondu qu'à un seul, un seul et unique, message, le sien, sans suite d'y revenir car j'en avais jeté le numéro d'appel et toutes les coordonnées y afférentes.

    C'était elle, mon inconnue, qui m'avait contacté en corrélation aux informations et aux indiscrétions succinctes, citation de mes activités et mon adresse téléphonique, avec un portable toute recherche d'adresse domiciliaire étant proscrite, donc risque quasi nul de l'obtenir, toutes choses vagues, impersonnelles et tentatrices que j'avais laissé sur la bande enregistreuse de la boite à lettres qui lui avait été attribuée.

    Être passé sur une messagerie, m'avait-elle alors jugé sur ce point unique ? S'était-elle de fait, inculquée l'idée que j'eus pu être un vicieux, un homme à femmes, un gourmandin, qu'ainsi, si elle parvenait à me conquérir, ce qui avait dû lui paraître aisé étant donné les circonstances, elle pourrait être satisfaite dans la réalisation finale de ses désirs ?

    Il m'est difficile d'en tirer quelques réponses plausibles.

    Toujours en est-il, et c'est indéniable, qu'elle fait preuve de persévérance et de constance, se référant, un leitmotiv, au rendez-vous accepté, à ma présence ou à mon présence à celui-ci et le fait que je ne m'en dédise pas semble la soulager et la conforter dans sa raison de me rendre sienne. Ne se justifie-t-elle pas, sans motif rationnel et apparent, sur la qualité et le sexe des commerçants qui la servent ?

    « J'ai oublié de te dire, et c'est la raison qui fait que je souhaite que tu n'arrives, mardi, qu'en début d'après-midi, quand je vais chez ma coiffeuse et que je m'abandonne, après aux mains de l'esthéticienne, c'est toute la matinée qui est prise. Deux heures avec la « esthairdresser » et deux heures avec la « beautician », comme on dit en Angleterre... Et le temps passe avec une grande vitesse. J'aime bien aller dans ce salon où ce ne sont que des cabines particulières et spacieuses dans lesquelles les clients et les clientes sont reçus individuellement, tant pour la coiffure que pour l'esthétique, la salle d'attente étant, elle, à part et sans vue directe sur les cabines... Et ce qui ne gâte rien que c'est qu'elles sont toutes deux belles, très belles, de beaux brins de femmes bisexuelles... Je ne te dis pas combien il est agréable de passer dans leurs mains... Et ils reçoivent les couples dans un salon particulier... Aimerais-tu qu'on s'y rende, un jour, ensembles ?

    - Tu sais », lui ai-je répondu, « ta vie privée t'est propre. Elle est tienne et elle te concerne. Je n'ai rien à dire, ni à redire sur elle...

    - Même pas sur les relations que je peux entretenir avec mon amie de Nîmes, une amie intime et très très chère, une amie formidable et merveilleuse avec qui j'ai connu la vraie vie après la séparation d'avec mon mari et mon divorce qui en a suivi, une amie dont je t'ai déjà parlé ce matin, une amie que je te présenterai à la première occasion venue.

    - Ce sont tes relations et je les respecte. Nous ne nous connaissons pas. Nous n'avons pas de vie commune à ce que je sache. Tes relations sont tes relations et il n'y a aucune tromperie entre toi et moi...

    - Tu es philosophe. J'aime ta sagesse et ta diplomatie. Tu es, c'est sûr, quelqu'un de bien et j'aurai le mérite de te rencontrer. Vraiment, tu ne peux pas te libérer, demain ? J'ai hâte de te voir et de t'accueillir chez moi.

    - Si j'ai accepté ton rendez-vous pour mardi, il ne pouvait en être autrement. Sache que, dans la semaine, je suis très occupé et que je ne fais pas toujours ce que je voudrais faire à cause des impératifs. Vois-tu, aujourd'hui, je suis en Andorre, du moins je ne vais pas tarder à y arriver; demain, je serai à Barcelone après un arrêt à Ripoll; mardi chez toi, à Amélie les Bains, dans ta ville; mercredi et jeudi, devant mon ordinateur, à Le Soler, m'arc-boutant sur des rapports et des dossiers à rendre impérativement vendredi matin... cela te suffit ? Suis-je assez explicite ? »

    Mon inconnue s'est tue. Seul le silence me fait écho. L'aurais-je déçue, lui dévoilant mon emploi du temps ? Et y réfléchit-elle ? Modifie-t-elle ses plans ? Ou en prévoit-elle un autre ? Sa voix se fait entendre, mielleuse et minaudante, à nouveau. Ses neurones ont dû fonctionner à vitesse grand V.

    « Comment aimerais-tu que je sois mise, mardi après-midi, pour t'accueillir à ton arrivée ? »

    Elle me prend de court. Sa brusque pirouette m'assoit. Son interrogation me surprend. J'en suis interdit et je n'ai point possibilité de me ressaisir.

    « Aimes-tu les femmes portant tenue classique, corsage, veston, jupe longue et chapeau ? Les femmes modernes, tee shirt seyant dévoilant le nombril ou bandeau, jeans moulant ? Ou les femmes osées, chemise largement échancrée avec vue plongeante sur la poitrine et jupe extra-mini cachant difficilement une culotte confetti ou un string ? J'ai le choix dans ma garde-robe.

    - Comme il te plaira de me recevoir. Je t'en laisse le libre arbitre. Du reste, tout dépend de ce que tu espères de moi. Sois, mardi, celle que tu désires être, la femme sérieuse, la femme affriolante ou la femme débauchée. Libre à toi de vouloir, comme tu dis, me conquérir ou me faire fuir.

    - Alors je t'en réserverai la surprise. Je suis désireuse de te conquérir et pas de te faire fuir. Me permets-tu, quand même une question ?

    - Je n'ai rien à te refuser, ne te l'ai-je pas déjà dit ? Pose-moi là et je t'y répondrai en toute honnêteté.

    - Qu'insinues-tu par te faire fuir ?

    - Je n'insinue rien... ! Certains hommes détestent les femmes Vieille France et d'autres hommes horripilent de côtoyer des femmes exposant, sans aucune pudeur, leur marchandise, aux motifs qu'elles se veulent libérées. Dans un cas comme dans l'autre, il y a des raisons valables de fuir, les premières, des veilles filles, étant portes de prison, repoussantes, souvent acariâtres et râleuses ; les secondes poussant délibérément au vil consentant. Ai-je satisfait à ta curiosité ?

    - Oui... ! Tout à fait... ! Je sais que les deux vous font détaler. Je saurai m'en rappeler, le moment crucial quand je choisirai dans ma garde-robe bien achalandée, la tenue la plus seyante pour te conquérir... étant mise toute en beauté.

    - Si des femmes me font fuir, ce sont les Vieilles France et surtout pas les autres qui savent si bien offrir leurs merveilleux bijoux féminins si agréables à regarder... Et puis, une belle poitrine, sans besoin de soutien gorge pour la garder bien prééminente, est agréable à zyeuter

    - J'aime t'entendre me dire que seules les Vieilles France te font fuir. Alors, puisque j'y suis... préfères-tu culotte ou string ? Ou alors, comme tu apprécies les femmes qui ne portent pas de soutien gorges, tu apprécies aussi celles qui ne portent ni culotte ni string ?

    - Comme tu le désireras... avec ou sans soutien-gorge, avec ou sans culotte...

    - Puisque j'en suis toujours aux questions... une autre pour ne pas me tromper dans mon choix... As-tu un programme à me proposer pour mardi après-midi ?

    - Non, pas spécialement... Comme à Amélie les bains tu es dans ton domaine, dans ton jardin, je te laisse, de même, le choix. Je te l'assure, peu m'importe de te rencontrer dans un bar, ou de lier connaissance au cours d'une promenade le long des berges du Tech, ou ailleurs, que le lieu soit passant, tranquille ou retiré ou sans âme qui vive aux entours, ou toute autre idée qui sera la tienne... Je m'en satisferai tout comme je me satisferai... Même si je ne sois point trop chaud, si tu souhaites que nous allions chez toi... Mais si tel es le cas, je poserai une réserve...

    - Laquelle, puis-je savoir ?

    - Tu m'as dit que chez toi, tu es toujours nue... Tu garderas tes habits...

    - D'accord. Et si je choisis cette solution, je m'habillerai en femme fatale, chemise largement échancrée avec vue plongeante sur la poitrine et jupe extra-mini... Mais je ne pense pas que nous irons directement chez moi... Ce ne serait pas convenable.... Mais au diable le convenable... ne sommes-nous pas des adultes ? Probable que je choisirai chez moi pour le rendez-vous... ensuite nous irons faire une balade en toute amitié... »

    Mon inconnue est subitement moins déliée dans ses propos, moins spontanée et moins emportée, plus ténue, plus réfléchie et plus modérée, dans la qualité de ses réponse. Son timbre de voix sonne plus juste. Aurait-elle changé de stratégie, la première ne fonctionnant pas ? Mystère. Du reste, le femme est un mystère et elle est une femme.

    « Une autre question... Elle sera la dernière.... me l'autorises-tu ?

    - Pose-là !

    - Je ne veux pas me tromper...

    - Qu'attends-tu pour me la poser ?

    - Elle me gène.

    - Pose-là quand même. Je t'écoute...

    - Même si elle a rapport avec mon intimité ?

    - Même... Je suis prêt à tout entendre.

    - Tout à l'heure, je t'ai dit que mardi matin, voulant être belle pour toi, et pour te recevoir, je m'abandonnerai aux mains d'une esthéticienne pour qu'elle me maquille et m'épile.

    - Oui, tu me l'as dit... »

    Pour la seconde fois, chose inhabituelle chez elle, mon inconnue se plonge dans le silence. Cherche-t-elle ses mots pour exprimer sa question ? Se sent-elle gênée d'évoquer un point bien précis de son intimité ? Pourtant, quand elle hallucine, sur le sexe, son langage est vert, principalement quant elle affabule, colorant ses descriptifs, sur le sexe mâle. Elle est plus prude, évoquant le sien. Que de contradictions en elle. Enfin, elle est ainsi...

    « Aimes-tu... caresser... », avec moultes hésitations, elle se lance, « ...un pubis... poilu ou... une motte pubienne rasée ?

    - Pourquoi cette question ? Serait-ce le fait que tu te rendes chez une esthéticienne pour maquillage et épilation qui te chagrine et que, suivant ma réponse, tu habilleras ton Mont de Vénus tel celui d'une fille pubère ou...

    - Non ! Je ne me rase pas et je ne me suis jamais rasée... », m'interrompt-elle, triomphante, « ...ma foufounette est bien gazonnée et les poils sont soyeux et doux à la caresse. Et, en plus, le médaillon, en forme de cœur avec une camée rose en son centre. C'est ma fierté.

    - Il doit être fort agréable et très érotisant d'y nouer les doigts si l'on s'avise de gourmander ton œillet clitoricien ?

    - J'ai ma réponse et je t'en remercie. Je garderai mon coussin duveteux pour que tu es plaisir à le lisser mais, si tu avais aimé les femmes au pubis rasé, pour te plaire aussi, si je veux te conquérir, je dois être à ton écoute, je me serai rasée le minet pour la première fois de ma vie et je me serais offerte à toi aussi impubère que la fille que j'ai été, il y a bien des années, dans ma tendre et folle jeunesse.

    - Après tu l'aurais regretté...

    - Non », me répond-elle avec un ton ferme, « j'aime faire plaisir à l'homme avec qui je baise. Mais revenons au programme de mardi après-midi. Tu serais d'accord, quoi que je décide, cinéma, bar, salon de thé, thé dansant, promenade dans la nature ou même... mon appartement, un panel à ma disposition.

    - Ton choix sera le mien. Tu peux organiser l'après-midi comme il t'en semblera propice à tes desseins, tant bien même me recevrais- tu chez toi. Si tu en décides de la sorte, un tel lieu étant prématuré pour une première rencontre, je m'y plierai, à la condition que tu restes habillée tout le temps que je m'y trouverai, et je me rendrai, toi me guidant, jusqu'à ton appartement... cas contraire, notre rencontre s'achèvera et je prendrai la porte... pour ne plus revenir »

    Y restant, je me trouverais dans une une autre situation bien inconfortable, la rencontre ne se réduisant qu'en une partie de baise. Aussi je dirais que mon inconnue alterne le chaud et le froid, le blanc et le noir, jouant sur deux deux registres concomitants, l'un sérieux, l'autre frisant l'incorrection. J'ai eu l'heur, depuis mon divorce, de côtoyer un certain nombre de femmes mais c'est bien la première qui agit, avec moi, de la sorte, tout, chez elle, fleurant l'irrespect. Pourtant, son comportement m'interroge et m'interpelle. Il est surfait. Il est irréel.

    Comme l'idée m'en est déjà venue, comme elle a déjà effleuré mon esprit, tout laisse à croire qu'elle interprète un ordre, d'une part, et que, d'autre part, dans la réalité brute de la vie, de sa vie, elle est toute différente. Un adage argotique n'énonce-t-il pas, à grande gueule, petit cul ?

    Elle parle. Elle parle. Elle ne cesse de parler. Elle s'enivre de paroles. Elle s'encanaille d'érotisme mais, seule, dans son appartement vide, elle est malheureuse, malade de solitude.

    Dois-je la condamner, irrémédiablement, sans pardon, pour son crime, si crime est de ne jurer que par le sexe ? Dois-je la conspuer, transgressant les lois naturelles, pour son mal vivre ? Si je me compromettais dans un jugement erroné, culpabilisant, dégénérescent, je serais un piètre juge. Il est sûr, elle a besoin d'un homme auprès d'elle et il ne peut y avoir de doute sur ce point là. Il est capital, pour elle, l'homme étant sa raison d'être, sa vie, son équilibre. Elle tente l'impossible, avec moi, au risque de se perdre et d'achever de se détruire. A l'écoute des qualités de mes activités peu communes, elle a fait tilt.

    Son cerveau s'est connecté, flairant le bon coup et la bonne poire juteuse.

    Intellectuellement, probablement une bureaucrate ou une secrétaire, devant se sentir inférieure, incapable de soutenir la comparaison, s'étant forgé le dessein de me conquérir, et ne trouvant d'autre sujet que le sexe, elle y a plongé à pieds joints, advienne que pourra, les arcanes sachant dire, à postériori, si la raison était bonne. Et comme elle m'a pêché sur une messagerie coquine, m'imaginant porté sur la chose, elle a axé toute sa drague sur d'aléatoires présomptions. Et, sans cesse revenant sur le métier, elle enfonce le clou dans la folle espérance de me faire craquer, d'annuler mes prévisions pour la soirée et, demain lundi, la rejoindre à Amélie les Bains sans plus tergiverser, et de m'empêtrer, à n'en plus pouvoir m'en défaire, dans ses filets.

    Je ne suis pas devin, je ne lis pas dans l'avenir, dans une boule de cristal, je n'interprète pas les oracles, ni ne tire les tarots, mais je ne pense pas être loin de la vérité. Du reste l'avenir saura confirmer ou infirmer mes supputations.

    « Si je choisi mon appartement pour nous rencontrer aurais-tu donc si peur de succomber trop vite à mes charmes et à mes avances ? Je ne suis pas le grand méchant loup, sais-tu ?

    - Je n'en doute pas un seul instant. Dis-moi si je me trompe, tu es apparemment une femme ou alors, je ne sais plus faire la différence entre un être humain et un animal, d'une part, entre la gent masculine et la gent féminine, d'autre part, et, enfin le temps des être hybrides est révolu depuis des millénaires, es-tu hétéro, homo ou bisexuelle ?

    - Pour toi, je tiens à te préciser que je suis normalement constituée, comme toutes les personnes de ma fratrie et de mon sexe. Je possède ce qu'il faut où il faut, une belle paire de nichons sertie de deux petits tétons se durcissant comme des pierres diamantifères dans le plaisir, dans le vallon de mes cuisses, une vulve épanouie, toute fraîche de rosée, et une belle paire de fesses bien rondelettes et bien fermes avec un petit joyau crispé et révulsé, fiché en son milieu, un petit œillet que certains dénomment anus. Je te signale aussi, que ce n'est pas un tiroir caisse acariâtre et grincheux qui se niche entre mes cuisses bien galbées mais, au cas où tu l'ignorerais, se pelotonnant au creux d'un gazon ondoyant qui ne demande qu'à être entretenu avec tendresse, douceur et beaucoup d'attentions, c'est un petit nid douillet, une petite chatte doucereuse et câline, que je garde et que je dorlote avec amour. D'autres la dénomment minette, minou... ou duveteux fourreau bien huilé qui attend une dague bien ronde, bien dure et longue à tomber en pâmoison qui en épouse ses parois et l'humecte de ses humeurs secrétales. Mais ma chatte aime choyer les bijoux de famille bien redondants et gorgés de sève qui se glissent en elle, y ferraillant, s'y pourfendant et s'y épanouissant. Elle adore les cajoler, les minauder jusqu'à ce qu'ils s'y abandonnent et lui livrent la tiède semence, un élixir de vie

    - Qu'en termes bien choisis et bien pensés, tu parles de tes choses secrètes. Je dois t'avouer que c'est la première fois que j'entends une dame d'honneur discourir, avec autant de finesse, sur un sujet où trop de personnes se prêtent à rire.

    - Si je choisis mon appartement, comme lieu de notre première rencontre, je te promets d'agréables et délicates réjouissances.

    - Je te l'ai dit, c'est à toi de choisir et je n'opposerai aucun refus à ton choix. Tes intentions, quelles qu'elle soient, seront les miennes. Je pense que je suis assez clair. Il ne m'en est nul besoin d'en expliciter davantage.

    - Et si j'ai des exigences sexuelles...

    - Je les satisferai. Cela te sied-il ?

    - N'importe lesquelles ? J'aime tout, les baisers, les léchouilles, les mordillements, les caresses, la masturbation la fellation, la copulation... et la sodomie et j'adore que l'on me gratifie de cunnilingus.

    - Toutes celles qui te prêteront envie... sauf les exigences masochistes...

    - Promis ?

    - Promis... »

    Plus les minutes passent, plus s'éternise la conversation, plus mes idées se calent dans mon esprit et elles s'ordonnent dans un tri impeccable. Mon inconnue a besoin d'un homme, le concept est indéniable, peu importe lequel, un homme uniquement doté d'une verge qui la fasse triquer... Et elle me tient sous la main, un homme, non pas pour qu'il se couche seulement à côté d'elle, mais qui se vautrerai dans son lit, s'abandonnerait dans des étreintes interminables, torrides, plus interminables et plus torrides les une que les autres... Et elle, une femme, seule dans la vie, dans la souffrance et l'abandon, elle un être humain, avec ses qualités et avec ses défauts qui n'aurait cesse de redonner redondance à la verge du mâle... jusqu'à n'en plus supporter de recevoir les honneurs spermatozoïdaux... et tomber repue, dans un profond sommeil réparateur.

    Les rapports intimes lui sont nécessaires comme à chacun d'entre tous les êtres humains, pour un équilibre psychique, psychologique et physique, mais elle réclame, à grands cris lançant des appels désespérés, des bouteilles à la mer, une épaule amie sur laquelle elle pourrait se reposer. Je ne vais pas lui jeter la pierre. Je n'en ai pas le droit. Et je serai mal placé pour.

    La vie solitaire, source de mélancolie, est monotone. J'en subis, depuis des mois, des années, ses implacables atteintes. Aussi, je peux la comprendre et l'excuser. Seul, moi-même trompé, trahi, bafoué, abandonné, sali, je vogue, sur un océan de fiente, dans une galère aveugle.

    Comme elle, j'essaye vainement, de trouver, n'en pouvant, une âme sœur qui saurait me comprendre, m'écouter, me prêter aide et, occasionnellement, me conseiller, une âme bienveillante auprès de laquelle je pourrais épancher mes inquiétudes et mes peines, et chercher réconfort. Je souffre. Mon cœur est au plus mal et mes chairs sont lacérées. Jamais, pourtant, je ne me rabaisserai, par pudeur, par fierté, par honneur et par respect de l'autre, au bas niveau de discussion auquel, ne pouvant plus se raccrocher à quelque amer, elle est descendue.

    Elle ne mérite pas, étant plus à plaindre qu'à blâmer, d'être mal jugée. Et, dans sa situation déplorable, je me dois de rester honnête, respectueux et humain. Elle nécessite d'être écoutée, conseillée, aidée.

    Ce ne sera pas, tenant un comportement d'insane profiteur, que je lui serai d'un grand secours. Au contraire, elle est en danger. Je me dois d'agir en conséquence et tout en douceur. C'est idiot la vie ! Pourquoi a-t- il fallu que je m'embarque, par dépit, dans une messagerie douteuse ? Pourquoi, pour savoir, ai-je lâché, sur une bande enregistreuse, mon adresse téléphonique ? Pourquoi ai-je cru, à son appel, que j'allais pouvoir goûter aux joies d'une relation exclusivement sexuelle et, après avoir usé des délices d'étreintes égoïstes, l'esprit et le corps repus, tout balancer ? Sur ce point, il m'est fait obligation, par respect pour la femme, une paumée du petit matin, de réviser mes plans, je n'en serai que plus généreux.

    J'ai plongé, tête en avant, dans un monde fétide. Je dois la rencontre à mon inconnue, mais, la tenant à distance, garder ma mobilité d'esprit et de décision, et ne lui laisser aucune emprise sur ma personne, ma sauvegarde. Surtout éviter une toute autre relation qu'une relation strictement amicale et platonique, ma seule planche de salut face à elle, et je ne courrai aucun risque majeur. A tout prix, je ne dois pas entretenir, avec elle, de liaison charnelle car elle m'entraverait dans ses pièges et, alors, adieu à ma liberté.

    Pourquoi ai-je accepté une rencontre sur ses terres, dans son jardin, sa commune de résidence ? Ne pouvais-je pas suggérer un autre lieu de rendez-vous, à Céret, à Perpignan, ou ailleurs dans une zone neutre ? Mais, je suis de la vieille école, nourri de principes surannés, de bienséances et de bonnes manières ! En toute civilité, l'homme se déplace, l'homme fait le pas et la rencontre ne pouvait avoir lieu qu'en son domaine, aux Bains d'Arles, à Amélie les Bains, une règle essentielle à laquelle, au risque d'y brûler mes ailes, je ne déroge pas et ne dérogerai jamais, question d'éducation.

    Et si, mardi, elle m'entraîne, dans la totale ignorance de son adresse domiciliaire, à ses appartements ? Que trouvant mille excuses valables et mille indécelables roueries, elle me place dans l'inconfortable situation de ne pouvoir lui refuser de passer le perron de sa demeure, tout étant du domaine du possible, qu'en adviendra-t-il de mes bonnes intentions ? Alors, serai-je capable de résister à ses avances, à ses provocations, à ses menées ? Ne me laisserai-je point aller à la capitulation ? Ne suis-je pas un homme, vivant seul, occupant une maison vide, ayant grand besoin de tendresses, de douceurs et de câlineries ? Affreux dilemme ! Et, répondant à ses sollicitudes, le piège se refermant, je tomberai dans la nasse. Alors, toutes mes bonnes résolutions s'engloutiront, m'emportant dans la chute, dans les effluves évanescents d'un acte charnel, non souhaité, certes, mais consentant, consenti et consommé. Je pourrai me remémorer la fable de La Fontaine, « Perette et le pot au lait: Adieu veaux, vaches, cochons... » et Raymond ne sera plus. Raymond aura coulé, irrémédiablement, corps et âme, perdu corps et bien, prisonnier d'une égérie.

    « Je te promets de choisir un programme à tout égard digne d'une première rencontre... »

    Elle a repris pied à terre. Ses idées se classent à l'endroit, tête en haut, consciente, probablement, que, s'engluant dans la grivoiserie, elle perdrait la partie et qu'elle aurait fantasmé sur une notoriété illusoire.

    « Ne te mets Martel en tête, à mon sujet, je ne suis ni une louve, ni une ogresse. Je suis pas, non plus une croqueuse de sexe qui te renversera dans son lit, ne serait-ce le temps de siroter une menthe au bar du coin, avant d'aller plus loin, tu ne penses pas ?

    - Veux-tu que je sois honnête avec toi ?

    - Pourquoi ? », sa voix marque la surprise, « tu ne l'as pas été jusqu'à maintenant ? A mots couverts, tu m'aurais menti ?

    - Loin de moi cette pensée. Je tiens toujours mes promesses, tu t'en apercevras, mardi, en me voyant arriver, preuve intrinsèque, s'il en fallait une, de mon honnêteté. Ma réflexion concerne uniquement, seulement, je te le précise, le fait, et ce fait seul, de coucher ensemble, de s'ébattre, corps nus et sexes au combat, sans que nous n'ayons fait, au moins, un pas de connaissance. C'est là où se joue mon honnêteté d'homme. Je peux t'assurer que mardi si, dès mon arrivée, ou dans la demi heure ou l'heure suivante, après quelques civilités, calembredaines et considérations sur le temps, brièvement échangées, à la sauvette, au coin d'une rue, nous nous retrouvons chez toi, dans ton appartement, notre relation, si relation entre toi et moi doit être, sera mort-née… »

    Je ne peux pas laisser passer, sans un mot dire, ce rentre dedans permanent, frisant le dévergondage, l'obscénité et le libertinage effronté, dans lequel elle excelle avec bassesse. Il fallait que ça sorte, et c'est sorti, sans ambages, avec brutalité, tel un grand coup de poing asséné au milieu de la figure. Que mon inconnue ait ou non apprécié, je me suis refusé à toute compromission. Quand une coupe est trop pleine, elle déborde. J'en ai trop entendu et il est devenu, pour moi, nécessaire de me vider.

    Les dés sont jetés et ils ne sont plus pipés.

    « Ce qui veut dire, si j'ai bien compris... », rétorque-t-elle, d'une voix triste et humide, «...que tu claqueras les talons et me laisseras plantée, chez moi, les bras tombants, la déception dans mon cœur et dans ma chair ? Sans espoir de te revoir et de réparer ma misérable erreur ? Comme une idiote qui aura commis une monumentale bêtise parce qu'elle se sera trompée, lamentablement, sur tes intentions réelles et profondes ? Tu as eu raison d'avoir engagé ton honnêteté. Je me suis pieusement méprise.

    - Bien plus que tu ne le crois ! Non, je n'aurais pas claqué les talons à peine entré. J'aurais plié à tes caprices, accepté tes avances et comme tu le dis si bien, nous aurions baisé..., baisé et baisé puisque tel aurait été ton désir profond, et je t'aurais baisée autant de fois que tu l'aurais mandé et quémandé et redemandé... Je me serais vidé, répondant à toutes tes sollicitations et à toutes tes sollicitudes. Et quand nous aurions été repus, que tu aurais été rassasiée, là, je t'aurais quittée, satisfait de t'avoir rendu service, ayant assouvi tes envies sexuelles.

    - Merci pour m'avoir avertie, même si tu n'as pas mis des gants pour me le dire, même si j'en ai reçu plein la figure... ! Je ne pensais pas qu'il pouvait encore exister des hommes respectueux de la femme. Je saurai m'en rappeler pour éviter, à l'avenir, tout impair néfaste à notre future liaison. Tu es un homme sage.

    - Comme tous les hommes. Je suis avant tout un être humain qui applique les lois naturelles.

    - Mais..., tu me laisses un espoir, soit-il mince, que, dans l'après-midi, tout pourrais évoluer ?

    - Tu sais, l'après-midi est longue. Les événements peuvent vite évoluer et se bousculer. Comme personne ne m'attend dans ma maison vide, tout est possible. Ton charme étant, je me laisserai, peut-être, convaincre du bien fondé de pousser plus loin nos investigations dans une conversation plus intime et surtout plus tendre et plus câline, voire coquine.

    - Je ne te mens pas, non plus. Je t'assure que j'ai envie de toi. Bien que par téléphone, au fil de nos conversations, je ne peux que l'admettre, tu m'as conquise. »

    Quelle gaffe ! Trop tard pour me reprendre ! Je l'ai faite. Elle l'a saisie au vol. Elle l'a tirée comme on tire sur un pigeon d'argile. Elle ne l'a pas ratée. A trop vouloir faire preuve de bon sens, même les plus malins s'emmêlent les jambes. J'ai trébuché et je dois espérer que je n'ai point chuté. Et se rattraper... ? Comment ? Et où ?

    « As-tu réellement envie de moi ? », je tente un échappatoire, peut-être inutile, ou une simple pirouette pour tenter de reprendre la main, « Ou envie de la présence d'un homme que te rassurerais, sur qui tu pourrais compter, te reposer, un homme qui t'apporterait la stabilité psychique, un homme avec qui tu aimerais faire l'amour et partager d'insignes et agréables moments d'intense bonheur ?

    - Serais-tu psychologue... ? », me rétorque-t-elle, de l'étonnement et de la surprise dans la voix, « ...c'est ton vrai métier ?

    - Je t'ai seulement écoutée parler et cette absence d'homme est criarde en toi, à tel point qu'elle se voit et qu'elle s'entend. Serais-je sourd et aveugle, je l'aurais vue et surtout entendue. Crois-moi ! Si j'ai une liaison intime avec une femme, je lui fais l'amour, je ne la baise pas, je l’honore, je ne la souille pas. Cela te suffit-il ?

    - Comme tu parles bien ! Tu fais l'amour et tu ne baises pas... Je t'admire. Dis-moi encore des belles choses. S'il te plaît... !

    - Tu veux bien attendre mardi ?

    - S'il ne peut en être autrement... ? Je suis bien obligée de patienter. Sans que tu le veuilles, je me trompe peut-être ou, qui le sait si ce n'est toi qui désire qu'il en soit ainsi, tu as remis à l'heure mes pendules déréglées. Je saurai m'en rappeler aussi quand je serais blottie dans tes bras et que nous ferons l'amour. Tu es un homme bien, pas un profiteur égoïste.

    - Et toi, tu n'es pas la femme qui donne une mauvaise image d'elle.

    - Merci... ! Merci encore... ! Merci pour tout... ! Tu me réchauffes le cœur. Et je sais, qu'à l'avenir, je peux tout te dire, tu me comprendras.

    Je tombe des nues. Aurais-je touché juste ? Ou serait-ce, tout simplement, une nouvelle facette de son personnage si étrange, si nébuleux et si controversé ? Je ne peux savoir. Je ne peux plus savoir.

    Mais si telle est la réalité, sa réalité, tout, chez elle, n'est que déceptions, plaintes et douleurs. Et, s'évader dans le sexe, s'y noyer en paroles, n'est qu'un moyen d'éclairer sa vie.

    Est-il besoin de gratter la croûte pour y découvrir une chair en charpie et un cœur en lambeaux ? Je pense qu'elle est excusable et que toute condamnation la rejetterait dans le Schéol. Mais ne serais-je point trop bon, aussi, trop clément et trop crédule ? A croire ! Si tout n'était que fadaises ? Si tout n'était que calembredaines ? Faux fuyants ? Vains propos ? Alors, elle serait une merveilleuse actrice qui aurait, idéalement, interprété un rôle. Il sera grand temps d'y penser, d'y réfléchir et d'y méditer, mardi n'étant pas loin. Pour l'instant, avec parcimonie, je ne peux que lui accorder les circonstances atténuantes avant de m'aventurer à prononcer un non-lieu.

    Je suis trop bon. Je suis trop tendre. Le malheur des autres, oubliant mes problèmes, mes ennuis, mes malchances, m'interpelle toujours. Je ne le supporte pas. Je n'accepte pas que des êtres humains puissent souffrir, galérer, se traîner, lamentables, dans la désolation morale. Et je plonge, invariablement, ne regardant pas derrière moi. Je me laisse prendre, quitte, plus tard, à me retrouver roulé dans la fange et la fiente, à crouler sous la médisance et la calomnie, et à être, irrémédiablement, pour avoir donné, donné sans jamais recevoir, chassé, mon aide n'étant plus jugée nécessaire, le petit oiseau à l'aile cassée, soigné et en voie de guérison, ayant repris son envol.

    Toutes ces déconvenues, je ne les compte plus. Elles sont mon quotidien et elles s'accumulent. La gent humaine, égoïste, est ainsi faite. La reconnaissance, le respect de l'autre, n'existe plus. N'ai-je pas été, par deux ou trois fois, ayant tiré, des profondeurs insalubres, des êtres en rupture de la société, des paumés du petit matin, porté devant la gendarmerie et les instances policières et judiciaires, amené à me justifier face à des accusations mensongères et à des allégations insipides, diligentées vers un seul objectif, m'escroquer et s'enrichir sur mes maigres économies, ces êtres là, infâmes, insanes, me prenant telle la bonne poire bien mûre et bien juteuse de laquelle il est aisé d'en expurger la moelle ?

    Je suis ainsi, un bon samaritain qui ne changera jamais et qui recommencera, la première venue, à secourir les autres. Et mon inconnue, elle, nécessite de lui prêter soutien, aide et assistance. Abandonne-t- on, exposée à toutes les atteintes et livrée aux charognards, une personne en danger ?

    « Non... ! S'il t'en prie... », je lui répond, « ne me remercie pas. Je n'ai aucun mérite.

    - Oh oui, tu en as un ! Je te vole le temps et tu ne me le reproches pas. Tu as la patience de m'écouter alors que je m'incruste, et tu me fais la grâce de tes conseils. C'est une chose énorme à laquelle je ne suis pas habituée. Quand je me regarde, je constate, avec amertume, que je suis vraiment rien du tout par rapport à toi. Ton âme est grande et je n'arrive même pas à ta cheville. Tu as la science et j'ai la bêtise. Tu es riche de connaissance et je ne peux te répondre que par mon ignorance et mon inculture. Je n'ai rien, si ce n'est mon corps, à t'offrir. Aussi, j'espère que tu accepteras, sans tourner les talons, ni me laisser à l'abandon, tout ce que mon corps, encore jeune, pourra te donner... et que tu m'accorderas la grâce de me faire l'amour.

    - S'il te plaît..., ne me demande pas des choses que je ne peux pas te promettre... Dis-toi que si, mardi après-midi, je ne te conviens pas, si je ne correspond malheureusement pas, pour toi, au personnage que tu as bâti autour de moi, en un mot usuel, si je ne fais pas l'affaire, et que si notre rencontre n'amène rien de constructif, comment jugeras-tu alors ma promesse ? Ne penses-tu pas que tu risquerais, ce serait la normale des choses, de me juger tel un salop ayant voulu tirer profit de ton désarroi ?

    - Ne prononce pas des paroles aussi idiotes, çà ne pourra pas être comme il ne se peut être que notre conversation s'éternise indéfiniment. Les aiguilles tournent imperturbables et si je continue, je vais te mettre n retard.

    - Tu prêtes attention à ma modeste personne à ce que j'entends ?

    - Bien sûr... ! Je te dois bien ce petit service... ! Je te laisse aller, continuant ta route, la mienne s'est posée en attendant ton arrivée. Mais, avant de te quitter..., puis-je me permettre de formuler une dernière requête ?

    - Si je puis la satisfaire ?

    - Pourrais-je t'appeler ce soir, bien après la clôture de l'émission de télévision, une émission sur l'histoire si je me souviens, à laquelle tu es invité à participer ?

    - Dois-je te répondre ou te laisser llibre le choix de la réponse ? A tout te dire, je ne pense pas pouvoir rejoindre l'hôtel avant, au moins, minuit. »

    Soudain, troublante, tout autant qu'inattendue, la sonnerie d'un téléphone déchire l'espace.

    « Mais n'est-ce pas un téléphone qui sonne ? », m'interroge-telle. « Serais-tu avec quelqu'un par hasard ?

    - Pas du tout... je suis seul sur la route qui me mène sur l'Andorre. En plus je m'étais arrêté dans un endroit tranquille pour te répondre. C'est mon téléphone professionnel. J'en détiens deux... Me permets-tu quelques instants que je puisse répondre d'autant que c'est un numéro d'appel andorran...

    - Je te permets, bien sûr... Je n'ai rien à t'interdire... Je serais mal placée pour cela... Je vais-être patiente, le temps de la conversation... Et après, encore deux ou trois petits mots confidentiels à te dire, et je te laisserai aller à ton rendez-vous à la télévision

    - Je te remercie... Tu pourras même écouter, je vais mettre l'amplificateur de son....

    - Trop sympa... mais je ne veux pas être indiscrète...»

     

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     C'est bien l'Andorre, pire le journaliste qui doit animer l'émission... Il est tout en excuses, ne sachant comment me dire, me demandant si j'étais encore à Le Soler ou si j'étais déjà sur la route... Un imprévu et le désistements de dernière heure des historiens de Barcelone, suite à une grève de la télévision catalane qui bouleversent tous les programmes. L'émission, pour causes exceptionnelles est reportée à une date ultérieure et ce, au grand dommage de tous, dès que les journalistes auront repris le travail...

    « Et zut... j'ai fait tous ces kilomètres pour rien... ! Et un jour dans la fange et de Pâques encore ! C'est vraiment la poisse.

    - J'ai tout entendu », me dit mon inconnue. « L'émission est annulée, tout comme demain celle qui devait se passer à Barcelone...

    - Et zut... zut... et zut... J'ai pas la tronche d'un imbécile... Et cent kilomètres pour ma pomme...

    - Veux-tu bien ne pas râler pour des problèmes sans importance », minaude ma dame d'Amélie les Bains, « car une émission de télévision qu'elle se déroule un jour ou un autre ce n'est pas gênant...

    - Je crois que tu as tout à fait raison. C'est idiot de mètre énervé pour rien... Je vais rentrer bien gentiment chez moi...

    - Oh que non... ! », s'insurge-t-elle, « Comme personne ne t'attend dans ta maison vide, c'est toi qui me l'a dit tout à l'heure, je crois que ce soir tu as besoin de quelqu'un près de toi... Et puis, plus rien n'empêche d'avancer notre rendez-vous. Crois-tu qu'il soit toujours nécessaire que nous attendions mardi ? »

    Un couac ! Et je suis coincé. Que vais-je répondre ? Et je n'ai aucune excuse pour me défiler. Lui laisser écouter ma conversation avec le journaliste andorran ? Qu'elle blague j'ai pu commettre ! Et pris à mon propre piège ! Quel idiot suis-je ? Parler, trop parler... et ne plus pouvoir rien faire, ne plus pouvoir rien dire d'autre que... je ne peux pas refuser de me redescendre sur la plaine et... que de lui rendre visite, portant mes pas sur Amélie les Bains.

    « Sais-tu que si je viens sur Amélie les bains, il est... », jetant un bref coup d'œil à ma montre, « déjà presque quinze heure, et je ne pourrai arriver, dans le meilleur des cas, que vers dix sept heures, dix sept heures trente... et si je rencontre de la circulation, ce ne sera que vers dix huit heures, dix huit heures trente que je pourrai pointer mon nez... Ne penses-tu pas que l'après-midi serait compromise ?

    - Ce que je pense... », un petit silence, « ...je pense que l'heure n'aura pas d'importance pour nous retrouver et nous rencontrer. Je serai heureuse de te voir et nous pourrons discuter...

    - Mais je ne voudrais pas abuser...

    - Tu n'abuses pas... tout au contraire. Et je t'attends, qu'importe l'heure à laquelle tu arriveras à Amélie les Bains. Connais-tu Amélie ?

    - Oui... Assez, je crois...

    - Préfères-tu que je t'attende à la gare routière ? Ou préfères-tu venir directement chez moi ? Comme nous sommes encore dans des soirées qui sont fraîches et comme tu as un téléphone sur toi, si tu viens chez moi, tu pourrais m'appeler et je n'aurai pas à patienter trop longtemps dans la froideur du soir qui tombe...

    - Ne t'ai-je point dit que je te laissais libre choix du lieu de notre rencontre ? Je n'ai pas changé d'avis... Ton lieu sera le mien mais, à une condition, si tu choisis chez toi, que nous nous retrouvions sur le parking de ton immeuble.

    - Alors chez moi... Je t'explique comment venir...

    - J'écoute ton itinéraire...

    - C'est tout simple... Quand tu arrives à la gare autoroutière, au pont tu tournes « Route de Palada » et tu continues dans la direction du village. Après un peu plus de 300 mètres, tu arrives à une première intersection sur la droite et tu vois un panneau « Centre équestre» Tu empruntes cette rue et tu files tout droit jusqu'à un petit jardin qui se situe sur la droite. Il y a un immeuble et une entrée de parking, en face, sur la gauche. Tu gares ta voiture et tu es au terminus... Je descendrai à ton arrivée... Je ne serai pas nue mais habillée, portant chemise largement échancrée avec vue plongeante sur la poitrine et jupe extra-mini, bien sûr, je me rappelle ce que tu as dit quant aux dessous, sans soutien-gorge et sans culotte ni string, et mise dans un manteau de fourrure pour ne pas avoir froid. Cela t'ira...

    - A ton choix...

    - A tout à l'heure... Je t'attends avec impatience. »

    Le 4 Avril 2002.

     

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